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Quel futur après la condamnation de la France par la CEDH le 9 juin 2022 ?

Quel futur après la condamnation de la France par la CEDH le 9 juin 2022 ?

Publié le : 28/06/2022 28 juin juin 06 2022

9 juin. Ou 21 prairial, mois de la fécondité dans le calendrier révolutionnaire. 9 juin 2022 : 17 arrêts, publiés, rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, et celui de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en prise directe avec la procédure civile française. Si le 9 juin restera comme la date de la fécondité, cet arrêt n’est sans doute pas celui d’une révolution. Mais il ouvre peut-être des perspectives, en procédure écrite comme en procédure orale.

  • CEDH 9 juin 2022, Xavier Lucas c. France, n° 15567/20

À la suite d’une sentence arbitrale relative à un différend financier entre associés, monsieur Lucas forma un recours en annulation. L’acte avait été transmis au greffe de la cour d’appel de Douai non par voie électronique mais sur support papier. Par ordonnance du 29 janvier 2015, le conseiller de la mise en état écarta la fin de non-recevoir adverse, motif pris d’une cause étrangère dès lors que la plateforme e-barreau ne permettait pas un recours en annulation d’une sentence arbitrale. Sur déféré, la cour de Douai confirma l’ordonnance selon arrêt du 17 mars 2016, relevant en outre que l’arrêté du 30 mars 2011 pris pour l’application de l’article 930-1 du code de procédure civile et la convention conclue entre la cour d’appel de Douai et les barreaux de son ressort n’incluaient pas le recours en annulation dans le champ de la communication électronique obligatoire. Par arrêt du 18 janvier 2018, la cour d’appel annula la sentence arbitrale. Par arrêt du 26 septembre 2019, la Cour de cassation, considérant qu’il ne pouvait être dérogé à l’article 930-1, prononça la cassation sans renvoi du premier arrêt et l’annulation du second par voie de conséquence par application de l’article 625 du code de procédure civile (Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, Dalloz actualité, 2 oct. 2019, obs. C. Bléry ; ibid., 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1891 ; ibid. 2435, obs. T. Clay ; Procédures, déc. 2019, comm. 320, L. Weiller). Devant la CEDH, le requérant arguait d’une atteinte au droit d’accès à un tribunal et de la violation des articles 6, § 1, et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. La suite est connue et déjà saluée : « la Cour conclut que le requérant s’est vu imposer une charge disproportionnée qui rompt le juste équilibre entre, d’une part, le souci légitime d’assurer le respect des conditions formelles pour saisir les juridictions et, d’autre part, le droit d’accès au juge » (CEDH 9 juin 2022, Xavier Lucas c. France, n° 15567/20, C. Bléry, Condamnation de la France pour formalisme excessif : la CPVE sur la sellette (?), Dalloz actualité, 16 juin 2022).

Enjoy the science

La dépêche à peine tombée, les manifestations de joie aperçues sur les réseaux sociaux ont été aussi nombreuses qu’immédiates. La mode consistant à réagir avant de lire présente cependant des inconvénients. Car si l’arrêt ouvre une brèche en droit interne, il ne s’agit pas non plus d’une faille. Ou alors c’est celle du RPVA. Si l’on commence à dire ce qu’il n’est pas, cet arrêt n’est ni une remise en cause de la spécificité de la procédure civile d’appel française ni non plus celle d’une communication électronique imposée. Les circonstances de l’espèce et le recours spécifique en question en sont l’explication principale. Pour savoir qu’elles pourraient être les répercussions de l’arrêt en droit interne, il faut comprendre les raisons profondes de la condamnation de la France pour violation de l’article 6, § 1, de la Convention.

Au visa de sa jurisprudence, mais faisant montre aussi d’une rigueur scientifique pour appréhender la « question électronique » au regard des spécificités du RPVA tel qu’on le pratique aujourd’hui, la CEDH détermine s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, ce qui conduit finalement à répondre aux trois questions suivantes : la restriction était-elle prévisible aux yeux du justiciable ? L’erreur doit-elle être mise à la charge du requérant ? La restriction est-elle empreinte d’un formalisme excessif ?

Après avoir écarté sans surprise le premier critère de prévisibilité de la restriction, à l’instar de la Cour de cassation qui avait justement relevé que l’arrêté du 30 mars 2011 et la convention locale de procédure qui ne prévoyait pas de communication électronique ne sauraient déroger au code de procédure civile et donc à l’article 930-1 (sur ce point, v. C. Bléry, art. préc.), la Cour de Strasbourg aborde l’origine de l’erreur procédurale et le formalisme excessif, les deux facteurs qui conduisent à la condamnation de la France.

R.A., not D.A.

Le recours en annulation n’est pas une déclaration d’appel, mais... On observera déjà que les articles 901 et suivants ne disent mot sur le recours en annulation. Il n’y est question que de déclaration d’appel. Or le recours en annulation d’une sentence arbitrale n’est pas un appel. Si l’appel de la sentence est envisagé aux articles 1489 et 1490 du code de procédure civile, le recours en annulation est prévu à l’article 1491. Il est ouvert dans les conditions particulières de l’article 1492 et, recours à part entière, il apparaît sous une section II distincte de celle de l’appel de la sentence arbitrale (section I). On serait donc tenté, prima facie, de conclure que si la déclaration d’appel d’une sentence arbitrale, qui est une déclaration d’appel, doit obéir aux règles habituelles propres aux déclarations d’appel en représentation obligatoire, il n’en est pas de même du recours en annulation qui n’est pas un appel. Mais perdu bien loin des articles 901 et suivants, l’article 1495, objet d’une modification passée inaperçue en 2011 avec l’arrivée des décrets Magendie, précise que « l’appel et le recours en annulation sont formés, instruits et jugés selon les règles relatives à la procédure en matière contentieuse prévues aux articles 900 à 930-1 ».

Aussi, pour ledit recours, il n’était pas besoin de s’interroger bien longtemps sur la nécessité d’en passer par un autre, celui à la voie électronique. Qui trop embrasse tout étreint, 900 à 930-1 ! Et si l’on pourrait argumenter sur des dispositions qui toujours visent des appels et jamais des recours – et c’est d’ailleurs une condition de recevabilité de le bien nommer – ce dernier article est précisément sans appel : « À peine d’irrecevabilité relevée d’office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique ».

O.F.N.I.

Si la condamnation de la France s’impose in fine, c’est parce qu’au cas présent la communication électronique imposée était hasardeuse s’agissant du recours en annulation. C’est en effet le chemin tortueux imposé par le RPVA au recours en annulation qui est sanctionné puisqu’aucun onglet spécifique, pour ce recours qui l’est tout autant, n’était prévu. Le choix reste celui-là : déclaration d’appel, déclaration de saisine ou constitution d’intimé. Pour formaliser le recours, notons déjà que l’avocat n’avait pas commis d’erreur quant à la recevabilité même de l’action qu’il avait introduite : il formalisait bien un recours en annulation, non pas une déclaration d’appel. Mais pour prendre l’option de la voie électronique, prévue elle également à peine d’irrecevabilité, il fallait choisir l’intitulé « déclaration de saisine » (celui donc du renvoi après cassation !), et présenter les parties comme « appelant » et « intimé » au lieu de « demandeur » et de « défendeur ». La contorsion électronique pouvait se poursuivre ainsi : joindre un fichier Word intitulé « déclaration de recours en annulation » et la sentence attaquée, et pourquoi pas glisser un mot d’explication en « observations » afin de prévenir le greffier que cette déclaration de saisine n’en était pas tout à fait une ! Le recours retraité par le greffe, mentionnant la chambre d’attribution et le numéro de RG, prendra ainsi la forme d’un « objet de procédure non identifié » : déclaration de saisine d’un recours en annulation. Faisant le bilan de quinze ans de communication électronique et pointant les incohérences jamais résolues du RPVA, Benoît Titran prévenait exactement que « le droit et la technologie s’entremêlent inéluctablement au point d’engendrer des concepts propres » (B. Titran, De l’art et la manière d’asphyxier la justice, Dalloz actualité, 24 déc. 2020). L’avenir lui a donné raison.

Alors si, comme l’avait lui-même admis le requérant devant la Cour de cassation, ce mode opératoire était techniquement possible, la Cour observe justement « que la remise par voie électronique de son recours en annulation sur e-barreau supposait que l’avocat du requérant complète un formulaire en utilisant des notions juridiques impropres ». La possibilité technique de forcer le RPVA n’excuse pas tout ; c’est heureux, la technique juridique s’impose sur la technique informatique. La voie électronique oui, à tout prix non ! Le recours en annulation n’est pas une déclaration d’appel. Et s’il n’est pas si difficile de contraindre le RPVA pour passer en force, il l’est encore moins de prévoir l’onglet idoine. C’est d’ailleurs sous cet angle « de l’autre voie » que la deuxième chambre civile vient de faire entendre la sienne : le poids des fichiers de conclusions ou pièces, dépassant les capacités du RPVA, peut consister en une cause étrangère autorisant une communication par voie papier (Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-24.864, Dalloz actualité, 22 nov. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2018. 52 , note C. Bléry ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2017. 618, obs. M. Jean ; D. avocats 2018. 32, chron. C. Lhermitte ; Dalloz IP/IT 2018. 196, obs. L. de Gaulle et V. Ruffa ; v. encore Civ. 2e, 19 mai 2022, n° 21-10.423, Dalloz actualité, 7 juin 2022, obs. C. Bléry ; D. 2022. 1045 ).

La suite est également intéressante : « le gouvernement ne démontre pas que des informations précises relatives aux modalités d’introduction du recours litigieux se trouvaient à la disposition des utilisateurs. De plus, le requérant indique sans être démenti que la jurisprudence était alors inexistante, y compris devant les cours d’appel ». Bref, à défaut de décisions de justice, il aurait fallu un mode d’emploi ! Où, dépité cette fois, l’on apprend à cette occasion que le mode d’emploi de l’avocat n’est pas nécessairement le code de procédure civile... Celui-ci pouvait en tous cas privilégier la voie papier, autorisé en cas de cause extérieure conformément à l’alinéa 2 de l’article 930-1.

Le critère est rempli : le requérant ne peut être tenu pour responsable de l’erreur procédurale alléguée.

IN XS

La France dans l’excès ? Il n’y avait qu’un pas jusqu’au dernier critère, celui de l’excès de formalisme, ramassé en une formule. Fidèle et premier lecteur des décisions de justice, c’est une manie de l’avocat d’aller directement à la solution, une déformation professionnelle de commencer par la fin. Et lorsqu’il lit que « la Cour rappelle toutefois que les tribunaux doivent éviter, dans l’application des règles de procédure, un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité du procès. Or elle considère, dans les circonstances de l’espèce, que les conséquences concrètes qui s’attachent au raisonnement ainsi tenu apparaissent particulièrement rigoureuses. En faisant prévaloir le principe de l’obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la cour d’appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s’était heurté le requérant pour la respecter, la Cour de cassation a fait preuve d’un formalisme que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n’imposait pas et qui doit, dès lors, être regardé comme excessif » (57), l’avocat français ressort revigoré d’une telle lecture, prêt à affronter les rigueurs et les frimas de la communication électronique et les innombrables embûches de la procédure d’appel. Il faut donc éviter un excès de formalisme. Les sentiments se confondent dans l’hybris, et la colère de l’avocat est justement tempérée lorsqu’est reconnu l’excès. Mais cette réaction aussi normale qu’épidermique ne doit pas non plus conduire à un autre excès. Ne nous y trompons pas, il suffit de remonter le fil pour comprendre qu’il ne s’agit en aucun cas d’une contestation du système « à la française ». La CEDH le dit dans ce même arrêt : « Consciente de l’essor de la dématérialisation de la justice au sein des États membres et de ses enjeux (§ 24-26, ci-dessus), la Cour est convaincue que les technologies numériques peuvent contribuer à une meilleure administration de la justice (CEDH 16 févr. 2021, Stichting Landgoed Steenbergen et autres c. Pays-Bas, n° 19732/17, § 50) et être mises au service des droits garantis par l’article 6, § 1. Elle convient donc de la légitimité d’un tel but ». Plus qu’une approbation du système, c’est même une conviction ! Et c’est une tendance lourde comme le souligne Cyril Nourissat pour qui l’Union européenne se fait l’écho insistant d’un mouvement qui apparaît désormais à beaucoup d’observateurs comme irréversible : celui de la « numérisation » de la justice (C. Nourissat, À propos de la numérisation de la coopération judiciaire transfrontalière civile, commerciale ou pénale, Procédures, juin 2022, Focus). Et dans la droite ligne du principe d’autonomie processuelle, la CEDH rappelle que chaque État assure sa propre réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. À l’occasion du fameux arrêt Chatellier sur les conditions de la radiation à défaut d’exécution d’un jugement (CEDH 30 juin 2021, Chatellier c. France), elle avait d’ailleurs condamné la France tout en rappelant que « la Cour a également jugé que l’article 6, § 1, de la Convention n’oblige pas les États contractants à instituer des cours d’appel ou de cassation. Toutefois, si de telles juridictions sont instituées, la procédure qui s’y déroule doit présenter les garanties prévues à l’article 6, notamment en ce qu’il assure aux plaideurs un droit effectif d’accès aux tribunaux pour les décisions relatives à « leurs droits et obligations de caractère civil (CEDH 23 oct. 1996, Levages Prestations Services c. France, § 44, Rec. 1996 V) ». Avec un brin d’espoir donc, l’équilibre entre les droits en présence sert de guide et la Cour rappelle à nouveau que l’accès à un tribunal doit être « concret et effectif » et « non théorique et illusoire ». Voilà le garde-fou : « les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même » (42).

No future ?

Pas totalement ! Mais disons-le en premier lieu, l’arrêt sera sans incidence sur la plus grande partie des contentieux, aussi stricts puissent être les délais, aussi sévères puissent paraître les sanctions. Dans l’immense majorité des cas, la rigueur de la procédure d’appel et la sévérité des sanctions n’atteignent pas la substance même du droit des parties à l’accès au juge. Elles y accèdent difficilement, mais elles y accèdent ! Ce que l’on pourrait toutefois mettre en perspective est plutôt l’équilibre entre les contraintes calendaires imposées aux justiciables et certains délais d’audiencement... Le fameux délai raisonnable, et l’article 6 toujours.

S’agissant de la communication avec la juridiction, directement mise en cause ici, dès lors que l’article 930-1 impose la voie électronique à peine d’irrecevabilité pour tous « les actes de procédure » remis à la juridiction, il n’y aura a priori rien à espérer à la différence de l’onglet restrictif et spécifique à la saisine de la cour d’appel. En effet, le menu déroulant du RPVA autorise la transmission de tout type d’actes (conclusions, requête, courrier, etc.), l’erreur de code adéquat ne débouchant au surplus sur aucune sanction. La différence de traitement s’explique : seule la saisine de la cour d’appel caractérise l’accès direct au juge et oblige l’avocat à qualifier son recours exactement, condition même de la recevabilité de l’acte. À l’opposé, l’erreur de code RPVA est sans incidence. Et faute d’utilisation de la voie électronique avec la juridiction dans la transmission de conclusions par exemple, seule la cause extérieure servira d’arbitre, pas le formalisme excessif. Mais s’agissant du recours, la forme emporte le fond avec elle. L’irrecevabilité est encourue si le recours stricto sensu n’est pas effectué dans la forme imposée comme l’a encore récemment rappelé la Cour de cassation à propos d’une décision du bâtonnier arbitrant un différend entre avocats qui peut faire l’objet d’un appel formé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d’appel ou remis contre récépissé au greffier en chef, la déclaration d’appel faite oralement au greffe encourant ainsi l’irrecevabilité (Civ. 1re, 22 sept. 2021, nos 20-15.817 et 20-16.276, Dalloz actualité, 12 oct. 2021, obs. P. Touzet ; D. 2021. 1724 ; Rev. sociétés 2022. 28, note J.-M. Garinot et R. Vabres ; RTD com. 2021. 856, obs. J. Moury; Procédures n° 11, nov. 2021, comm. 289, obs. R. Laffly). Ce qui suppose donc qu’il n’existe pas de formalisme excessif restreignant l’accès au juge.

Aussi, quelles pourraient être les procédures concernées par un équilibre rompu entre l’accès au juge d’appel et les conditions formelles imposées par la voie électronique ? Et bien en attendant peut-être « le nouvel e-barreau » annoncé ces prochains jours, seront concernées toutes celles en procédure ordinaire pour laquelle la voie électronique s’impose. Et pour lesquelles le RPVA ne propose toujours rien d’autre que la possibilité de former une déclaration d’appel, une déclaration de saisine ou une constitution d’intimé. On pense par exemple à la procédure applicable contre les décisions du directeur général de l’INPI et à l’article R. 411-24 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit que les actes de procédure devront être remis à la juridiction à peine d’irrecevabilité relevée d’office par voie électronique (M. Boccon-Gibod et M. Boelle, Propriété industrielle, oct. 2020, étude). Cela rappelle quelque chose. Ce d’autant que par application de l’article R. 411-19 coexistent le « recours en réformation » et... le « recours en annulation ». Cela rappelle encore quelque chose, et ouvre des perspectives. On s’interrogera aussi sur la possibilité de former une opposition ou une tierce opposition à arrêt qui ne sont pas plus prévues. Seront aussi à surveiller les procédures fiscales et douanières qui depuis 2020 également suivent les règles de la procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel, mais avec la particularité d’une administration qui pourra se passer d’un avocat sans accès donc au RPVA (Com., avis, 1er déc. 2021, nos 21-70.018 à 21-70.021, Dalloz actualité, 5 janv. 2022, obs. C. Bléry).

Il existe enfin une problématique exactement inverse qui pourrait conduire à un excès de formalisme. C’est celle de la procédure sans représentation obligatoire. N’existe-t-il pas une charge excessive à conditionner la recevabilité d’un acte ou d’un recours à l’existence d’un arrêté technique, fruit d’une omission plus ou moins fautive de l’administration, lorsque l’avocat a précisément utilisé le RPVA, système sécurisé, au moyen d’une même clé e-barreau qui l’est tout autant, identique à toutes procédures et pour chaque avocat.

Il existe enfin une problématique exactement inverse qui pourrait conduire à un excès de formalisme. C’est celle de la procédure sans représentation obligatoire. N’existe-t-il pas une charge excessive à conditionner la recevabilité d’un acte ou d’un recours à l’existence d’un arrêté technique, fruit d’une omission plus ou moins fautive de l’administration, lorsque l’avocat a précisément utilisé le RPVA, système sécurisé, au moyen d’une même clé e-barreau qui l’est tout autant, identique à toutes procédures et pour chaque avocat.

À la faveur de l’existence ou non d’un simple arrêté, comment accepter, dans une même procédure d’expropriation, que l’acte d’appel transmis par voie électronique est recevable, mais que le mémoire communiqué par RPVA de la même manière, selon les mêmes garanties, avec la même clé d’identification et dans la même procédure, ne le soit pas (Civ. 2e, 10 nov. 2016, n° 15-25.431, Dalloz actualité, 1er déc. 2016, obs. R. Laffly ; D. 2016. 2502 , note C. Bléry ; ibid. 2017. 605, chron. E. de Leiris, N. Palle, G. Hénon, N. Touati et O. Becuwe ; D. avocats 2017. 72, obs. C. Lhermitte ; Civ 3e, 23 sept. 2020, n° 19-16.092, Dalloz actualité, 20 oct. 2020, obs. C. Bléry ; D. 2020. 1891 ; RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol ).

Alors bien sûr, fusionnant les arrêtés du 5 mai 2010 relatif à la communication électronique en procédure sans représentation obligatoire et celui du 30 mars 2011 pour les procédures avec représentation obligatoire et depuis abrogés, l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel (Dalloz actualité, 2 juin 2020, obs. C. Bléry), assure et rassure : « Lorsqu’ils sont effectués par voie électronique entre avocats, ou entre un avocat et la juridiction, ou entre le ministère public et un avocat, ou entre le ministère public et la juridiction, dans le cadre d’une procédure avec ou sans représentation obligatoire devant la cour d’appel ou son premier président, les envois, remises et notifications mentionnés à l’article 748-1 du code de procédure civile doivent répondre aux garanties fixées par le présent arrêté ».

Mais reste tout un pan de décisions qui interroge au regard du droit d’accès au juge et de cet excès de formalisme. Et avec elles son cortège d’irrecevabilité, passé, en cours et à venir.

Ainsi donc, sur appel-compétence répondant de la procédure à jour fixe, une double maîtrise s’impose, celle de la voie électronique et du support papier. Le Premier président est une juridiction autonome qui ne peut être saisie par RPVA, aucun arrêté ne fixant, avant celui du 20 mai 2020, à la date de la déclaration d’appel, les modalités de recours à la communication par voie électronique (Civ. 2e, 3 mars 2022, n° 20-20.017, Dalloz actualité, 12 mars 2022, obs. C. Lhermitte ; Procédures, juin 2022, comm. 141, obs. R. laffly) et ce bien que les actes de cette même procédure relèvent ensuite du RPVA à peine d’irrecevabilité ou de caducité (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-20.930, Dalloz actualité, 3 oct. 2018, obs. C. Bléry ; D. 2018. 1919 ; ibid. 2019. 555, obs. N. Fricero ; 9 janv. 2020, n° 18-24.513, Dalloz actualité, 24 janv. 2020, obs. F. Kieffer ; D. 2020. 88 ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; Rev. prat. rec. 2020. 8, chron. O. Salati ; ibid. 2022. 21, chron. F. Rocheteau ; Gaz. Pal. 28 avr. 2020, p. 57, obs. C. Bléry). Il en est de même de la requête en récusation relevant d’une procédure autonome devant le Premier président (Civ. 2e, 6 juill. 2017, n° 17-01.695, Dalloz actualité, 20 juill. 2017, obs. M. Kebir ; D. 2018. 692, obs. N. Fricero ; Procédures, oct. 2017, obs. H Croze ; Gaz. Pal. 31 oct. 2017, p. 61, obs. C. Bléry) ou du recours formé devant lui, en application de l’article 176 du décret du 27 novembre 1991, contre la décision du bâtonnier statuant en matière de contestations d’honoraires (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-20.047, Dalloz actualité, 14 sept. 2018, obs. C. Bléry ; JCP 2018. 1174, obs. N. Gerbay).

On pourrait objecter qu’une bonne façon de savoir si la communication par voie électronique doit (ou peut) être utilisée est que l’accessoire suit le principal. Ainsi, si l’arrêt d’une chambre sociale de la cour d’appel a été rendu dans une procédure sans représentation obligatoire, le recours en révision qui l’attaque suit le même sort procédural, et avec lui la déclaration de saisine effectuée après l’arrêt de cassation de l’arrêt rendu sur révision (Civ. 2e, 27 juin 2019, n° 18-12.615, Dalloz actualité, 22 juill. 2019, obs. R. Laffly ; D. 2019. 1396 ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. F. Rocheteau ; RTD civ. 2019. 928, obs. N. Cayrol ). C’est une bonne façon de connaître l’obligation de recours à la voie électronique. La règle est simple, mais elle a le défaut d’être française ! Ainsi, l’opposition et la tierce opposition contre les décisions rendues, notamment, en matière de liquidation judiciaire, laisseront l’avocat le plus chevronné devant un abîme de perplexité. Cette fois, c’est l’article R 661-2 du code de commerce qui s’impose sur l’article 930-1... Dans ce type de  contentieux, l’opposition ou la tierce opposition contre l’arrêt qui a été rendu dans une procédure avec représentation obligatoire – dans laquelle donc la communication par voie électronique a été imposée à peine d’irrecevabilité tout au long de la procédure – se fait par déclaration au greffe. Pas par RPVA. À peine d’irrecevabilité bien sûr (Com. 10 mars 2021, n° 19-15.497, Dalloz actualité, 29 mars 2021, C. Bléry et B. Ferrari). Notons pour faire bonne mesure que cette déclaration orale a disparu en décembre 2020 et que la solution est bien sûr inverse pour une opposition de droit commun en procédure ordinaire. Qui a dit excès de formalisme ? Ah oui, la CEDH, mais la Cour de cassation aussi. Ainsi, en forme de pied de nez procédural, la Cour de cassation a directement fait référence à la « charge procédurale excessive » en procédure sans représentation obligatoire pour conclure que la déclaration d’appel qui mentionne que l’appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d’appel et qui omet d’indiquer les chefs du jugement critiqués doit s’entendre comme déférant à la connaissance de la cour d’appel l’ensemble des chefs de ce jugement (Civ. 2e, 9 sept. 2021, n° 20-13.662, Dalloz actualité, 5 oct. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1680 ; ibid. 1795, chron. G. Guého, O. Talabardon, F. Jollec, E. de Leiris, S. Le Fischer et T. Gauthier ; AJ fam. 2021. 516, obs. F. Eudier ; Procédures, nov. 2021, comm. 291, Y. Strickler). On ne sait toutefois si la solution vaut pour l’appelant représenté par un avocat (soudain frappé d’amnésie en procédure orale) ou si elle ne s’applique que s’il n’a pas d’avocat. C’est le charme de certaines procédures que de compliquer la vie des justiciables en consacrant leur droit à se passer d’un avocat. C’est aussi le cas avec le défenseur syndical ou avec l’administration en procédure avec représentation obligatoire devant la cour d’appel.

Alors, si certains se sont essayés à proposer une réécriture des articles 901 à 916, 562 et 930-1 du code de procédure civile qui serait guidée par les principes fondamentaux et l’article 6, § 1, de la Convention européenne (J. Ladhi, L’influence des normes européennes sur la procédure civile d’appel avec représentation obligatoire, thèse, Lyon 3, 2019), on proposera une autre voie : tendre vers un peu plus de simplicité. Comme souvent, le formalisme excessif a pour prémices le souhait de ménager les exceptions et les privilèges. Le mal est très français, faire de l’exception française un pays d’exceptions.

Romain LAFFLY
Avocat Associé, Lexavoué Lyon


 

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