Du juge et de la révision du contrat…
Publié le :
02/05/2016
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La publication de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme d’ampleur du droit des obligations a largement retenu l’attention de la communauté des juristes. En attestent les publications et formations qui se succèdent à un train d’enfer depuis et dont l’horizon que constitue l’entrée en vigueur au 1er octobre 2016 ne devrait pas tarir le flot. C’est au passage relever que le texte le plus important de ce quinquennat finissant illustre on ne peut mieux que rien de sérieux ne se réalise en dernière analyse dans la précipitation et le brouhaha médiatique… Tout au plus les exégètes regretteront que le recours à l’ordonnance les prive des travaux parlementaires si utiles à la compréhension des textes. On observera, cependant, que la multiplicité des sources (nationales, européennes ou internationales) qui ont porté en définitive sur les fonts baptismaux la réforme des obligations sera des plus utiles.
Nul n’ignore plus que tous les contrats conclus à compter du 1er octobre seront soumis, de plein droit, à l’ensemble des dispositions nouvelles qui – de manière schématique et peut-être simpliste – dessinent des évolutions bienvenues fort diverses et pour certaines d’entre elles assez remarquables.
De cet ensemble, on retiendra aujourd’hui la révision pour imprévision (art. 1195 nouveau) qui fait donc une entrée fracassante en droit français alors que depuis une jurisprudence plus que centenaire – sur laquelle tous les étudiants en droit ont jusque-là sué sang et eau ! – (Civ.6 mars 1876, Canal de Crapone) notre génie national avait considéré comme impossible toute révision judiciaire du contrat.
C’est ici l’occasion donnée de s’intéresser au contentieux contractuel futur et, en particulier, au rôle du juge à l’aune de cette réforme du droit des contrats, la révision pour imprévision en étant une occurrence parfaite mais si elle n’est pas en réalité la seule (cf. en ce sens la création d’un outil procédural nouveau comme l’action déclaratoire, disposition d’ailleurs d’entrée en vigueur immédiate ou encore la consolidation de la solution selon laquelle la résolution d’un contrat n’affecte pas les clauses relatives au règlement des différends).
Le Code civil concevait à l’origine l’intervention du juge à l’égard du contrat de manière bien délimitée : le contentieux de la validité, le contentieux de l’exécution. En revanche, s’agissant du contenu du contrat, les choses étaient a priori simples. Le contrat était aussi bien la loi des parties que la loi du juge qui ne pouvait dès lors pas le réviser. Tel ne sera plus le cas, le juge ayant désormais le pouvoir de réviser le contrat à la demande d’une partie, à défaut d’accord dans un délai raisonnable.
Certes, d’une part, l’article 1195 nouveau est supplétif, d’autre part, la révision est enfermée dans un processus restrictif. Dit autrement, les parties pourront décider d’écarter le dispositif ab initio et probablement à tout le moins de l’aménager (ce qui posera d’autres questions…). Mais, si les rédacteurs ne l’ont pas envisagé, les plaideurs se retrouveront à devoir caractériser une situation qui a été savamment pesée par le législateur. Et c’est à condition de réunir l’ensemble des éléments requis, que le juge pourra « réviser le contrat ou y mettre fin ».
Ainsi, et chaque mot utilisé a son importance (et pose de multiples questions), il sera nécessaire, en premier lieu, d’établir « un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat ». En deuxième lieu, il conviendra que le changement caractérisé conduise à ce que « l’exécution [soit] excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assurer le risque ». En troisième et dernier lieu, l’intervention judiciaire procédera soit « d’un commun accord » en vue de l’adaptation du contrat, soit et surtout d’un « défaut d’accord dans un délai raisonnable ». En d’autres termes, c’est seulement si une partie au contrat refuse de renégocier ou si la renégociation échoue que le juge pourra œuvrer…
Différentes observations s’imposent alors.
Il est tout d’abord assez probable que l’intervention du juge sur accord des parties sera rare car on ne voit pas quel serait l’intérêt de la partie à qui profite le changement de circonstance d’accepter l’intervention du juge. Ou alors ce dernier le fera-t-il selon une logique tirée d’une mission juridictionnelle strictement délimitée par les parties.
Il est ensuite possible que, en cas d’intervention du juge à « défaut d’accord », la mise en état fasse apparaître assez rapidement dans quel sens la modification devrait être envisagée et que les parties, alors, reprennent la main et parviennent à un accord.
En définitive, on ne peut donc exclure que ce pouvoir inédit de révision confié au juge ne serve pas en réalité, mais que la simple perspective qu’il puisse jouer suffira à conduire les parties à adapter d’elles-mêmes leur contrat, confirmant – par là – que le contenu du contrat reste bien avant tout la chose des parties, ce qui rassurera ceux qui croient encore à l’autonomie de la volonté…
Cyril Nourissat
Professeur à l’Université Jean Moulin – Lyon 3
Agrégé des Facultés de Droit
Historique
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