Déclaration d’appel : « Lost in Simplification »…
Publié le :
16/01/2020
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Est-ce le poids de l’habitude qui pousse les avocats, le personnel des greffes et une bonne partie des magistrats à recevoir avec circonspection l’annonce d’une réforme simplificatrice ?
Peut-être, mais alors quel dommage dans ce cas de ne pas être démenti une fois le texte en vigueur.
Car il est des simplifications qui ne semblent pas toujours évidentes.
C’est certainement le problème du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile. Son objet est assurément ambitieux puisque, outre la mise en œuvre de la loi du 23 mars 2019 par la fusion des Tribunaux d’Instance et de Grande Instance, il ne s’agit pas moins, si l’on se fie à la notice explicative du décret, d’unifier les modes de saisine, de simplifier les exceptions d'incompétence, d’étendre les pouvoirs du juge de la mise en état et de consacrer le principe de l'exécution provisoire des décisions de justice.
Mais la notice ne dit pas tout et le décret ajoute le recours préalable aux modes amiables, l’extension de la représentation obligatoire, l’audience d’orientation, la procédure accélérée au fond ou la procédure participative de mise en état. Tout cela et bien d’autres modifications de notre pratique quotidienne à intégrer en 20 jours seulement, week-end et fériés compris.
Dans cet empressement, l’on aurait volontiers pu croire que la procédure d’appel serait laissée, pour une fois, de côté après les réformes successives de ces dernières années.
Ce n’est finalement pas le cas puisque, rapidement, les incidences du nouveau décret sur la procédure d’appel et son lot de questions se sont révélés. Il y aura évidemment la modification du taux de ressort, l’extension du domaine l’exécution provisoire de droit ou la question de l’articulation des nouveaux pouvoirs du Conseiller de la mise en état avec ceux de la formation de jugement de la Cour au regard de l’effet dévolutif de l’appel.
Mais à prendre les choses dans l’ordre, il faut d’ores et déjà s’interroger sur les nouvelles mentions à faire figurer dans la déclaration d’appel elle-même.
Car la modification des dispositions relatives aux modes de saisine de la juridiction de première instance invite à une nouvelle vigilance sur l’acte qui saisira la Cour d’appel.
L’objet de la présente note est de proposer un récapitulatif général des mentions susceptibles de figurer désormais dans la déclaration d’appel tant en application du nouveau décret que des anciens textes (A), puis d’aborder plus spécifiquement les apports du décret du 11 décembre 2019, afin d’en déterminer les conditions de mise en œuvre (B).
A. Les mentions susceptibles de figurer dans la déclaration d’appel à compter du 1er janvier 2020 |
Désormais l’article 901 du code de procédure civile renvoie à l’article 57, qui traite de la requête, lequel renvoie à l’article 54 qui énonce quant à lui les mentions devant figurer dans l’ensemble des actes introductifs d’instance.
Compte tenu des dispositions transitoires, ces articles sont d’application immédiate et concernent les appels formés à compter du 1er janvier 2020.
Pour le confort du lecteur, ces mentions seront d’abord rappelées sous forme de tableau, mais il devra, à bien des égards se reporter aux développements qui suivent pour, certes, disposer d’un complément mais surtout se forger sa propre opinion.
MENTIONS SUSCEPTIBLES DE DEVOIR FIGURER DANS LA DECLARATION D’APPEL (A compter du 1er janvier 2020) |
|||
Mentions | Article | Observations | A faire figurer sur la DA |
Les adresse électronique et numéro de téléphone mobile de l’avocat du demandeur | 54 | Nouveauté du décret du 11 décembre 2019 | Non (Sous réserve, cf 1.) |
La juridiction devant laquelle la demande est portée | 54 et 901 | Mention inchangée puisque déjà exigée par l’article 901 | Oui |
L'objet de la demande | 54 | Mention inchangée | Oui |
Pour les personnes physiques : les nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des demandeurs | 54 | Mentions inchangées | Oui |
Pour les personnes morales : leur forme, leur dénomination, leur siège social et l'organe qui les représente légalement | 54 | Mentions inchangées | Oui |
Le cas échéant, les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier | 54 | Nouveauté du décret du 11 décembre 2019 | Oui, le cas échéant (cf. 2) |
Lorsqu'elle doit être précédée d'une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, les diligences entreprises en vue d'une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d'une telle tentative | 54 | Nouveauté du décret du 11 décembre 2019 | Non (cf. 3) |
L'indication des modalités de comparution devant la juridiction et la précision que, faute pour le défendeur de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire | 54 et 902 | Nouveauté du décret du 11 décembre 2019 pour les modalités de comparution | Oui |
Les nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée ou s'il s'agit d'une personne morale, de sa dénomination et de son siège social | 57 | Mentions inchangées | Oui |
Les pièces sur lesquelles la demande est fondée | 57 | Nouveauté du décret du 11 décembre 2019 | Oui (mais probablement pas les pièces de fond cf. 5) |
La date et la signature | 57, 748-6 et 901 | Mentions inchangées | Oui |
La constitution de l'avocat de l'appelant | 901 | Mention inchangée | Oui |
L'indication de la décision attaquée | 901 | Mention inchangée | Oui |
Les chefs du jugement expressément critiqués | 901 | Mentions inchangées | Oui |
Nous voilà donc avec cinq mentions ou indications nouvelles, signalées en gras, qui auraient vocation à figurer dans la déclaration d’appel.
Mais en matière de procédure, les actes gagnent en sécurité en ne contenant que les mentions nécessaires et nous sommes d’avis de ne pas céder à la tentation qui consisterait à vouloir tout faire figurer dans la déclaration. A titre d’exemple, ceux qui ont confondu « chefs de jugement critiqués » et « motifs de l’appel » en ont été pour leur frais.
Il convient donc, parmi ces nouvelles mentions, de faire le tri, ou du moins de s’y essayer.
B. Les apports spécifiques du décret du 11 décembre 2019 |
1. L’adresse électronique et le numéro de téléphone de l’avocat du demandeur
Si l’on se place sur le terrain des pures exigences formelles, cette nouvelle mention est probablement l’une de celle qui a fait le plus réagir et l’on en comprend bien la raison. Les parties ne seront pas nécessairement ravies à l’idée de communiquer à la partie adverse des données personnelles. Quant à imposer à l’avocat la même exigence, l’on se demande bien quel bénéfice cette communication peut apporter.
En réalité cette « innovation » s’inscrit dans le cadre du déploiement de la future plateforme « Portalis » qui permettra au justiciable, outre la saisine des juridictions dans les matières sans représentation obligatoire, la consultation de l’avancement de son dossier ou la réception d’avis émanant du greffe, y compris dans les affaires pour lesquelles il est assisté ou représenté.
Malgré cela, il s’agissait du premier grief fait par le Conseil national des barreaux devant le juge des référés du Conseil d’Etat pour obtenir la suspension de l’exécution du décret, auquel il était reproché:
« [d’être] entaché d'un vice de procédure dès lors que la Commission nationale de l'informatique et des libertés n'a pas été consultée préalablement à son édiction alors qu'il prévoit la collecte de données à caractère personnel par la nécessité, sous peine de nullité, de mentionner, dans la demande initiale formée par voie électronique, l'adresse électronique et le numéro de téléphone mobile du demandeur ou de son avocat ;
[de méconnaître] le droit au respect de la vie privée dès lors qu'il impose pour toute demande initiale formée par voie électronique, à peine de nullité, la mention de l'adresse électronique et du numéro de téléphone mobile du demandeur ou de son avocat ;
[d’être] susceptible de causer une rupture d'égalité entre avocats et entre justiciables dès lors qu'ils ne sont pas tous équipés d'un téléphone mobile ni même dotés d'une adresse électronique »
Le SAF et le Syndicat de la magistrature ajoutaient quant à eux que le décret :
[…] méconnaît tant le règlement du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel que le droit au respect à la vie privée garanti par l’article 8 de la convention européenne des droits de l'homme dès lors qu'il impose pour toute demande initiale formée par voie électronique, à peine de nullité, la mention de l'adresse électronique et du numéro de téléphone mobile du demandeur ou de son avocat ;
Pour rejeter la demande de ce chef, le juge des référés du Conseil d’Etat retient que le texte n’a vocation à s’appliquer qu’aux requêtes « formées » par voie électronique, par opposition aux actes « remis ou transmis » à la juridiction par le même biais.
Cela n’aurait donc pas vocation à s’appliquer à l’ensemble des demandes initiales mais, selon les observations faites par les représentants du garde des sceaux lors de l’audience, « seulement [à] celles pour lesquelles la saisine de la juridiction se fera directement en ligne sur un portail accessible par internet ».
La sémantique devient subtile, mais prenons en acte : ce n’est que dans l’hypothèse où la saisine de la juridiction se fera suivant acte « formé » électroniquement, via une plateforme accessible sur Internet, que l’adresse de messagerie électronique et le numéro de téléphone mobile devront être mentionnés.
Néanmoins, cela suffit-il à exclure les mentions litigieuses de la déclaration d’appel alors que la saisine de la juridiction de second degré, pour les matières soumises à représentation obligatoire, se fait à peine d’irrecevabilité, via la plateforme e-barreau, laquelle est bien un portail accessible par Internet ?
Il faut piocher dans les textes relatifs à l’appel par voie électronique pour ébaucher un début de réponse.
En effet, tant l’article 930-1 du code de procédure civile que l’article 2 de l’arrêté du 30 mars 2011, relatifs l’un et l’autre à la communication par voie électronique devant la Cour d’appel dans les procédures soumises à représentation obligatoire, prévoient que les actes sont « remis » à la juridiction par voie électronique.
Ainsi, alors que la pratique pouvait conduire à considérer l’inverse, la déclaration d’appel ne serait pas « formée » par voie électronique au sens de l’article 57 du code de procédure civile, mais uniquement « remise ».
Les mentions relatives à la messagerie électronique et le numéro de téléphone mobile n’auraient donc pas à figurer sur les déclarations d’appel formées à compter du 1er janvier 2020.
Naturellement, la jurisprudence viendra confirmer ou non cette analyse et nul doute que les confrères qui voudront s’éviter un incident de nullité sur cette question pourront au besoin ajouter ces mentions à leur déclaration d’appel, dans les champs destinés aux chefs de jugement critiqués.
Quant à ceux qui sont convaincus de ce qui précède, ou souhaiteront résister, nul doute qu’ils pourront in fine faire valoir que la méconnaissance des mentions de l’article 57 ne constituent qu’une irrégularité de forme et que la nullité ne sera donc prononcée qu’à charge pour le demandeur de démontrer le grief que cause ladite irrégularité conformément à l’article 114 du code de procédure civile.
2. Les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier
Cette exigence existe depuis l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure civile pour les assignations. Désormais, elle s’applique également aux requêtes et devient donc une mention prévue à peine de nullité de la déclaration d’appel par l’effet du renvoi à l’article 54.
Naturellement, la locution « le cas échéant » implique que cette mention ne sera exigée que si l’on est en présence d’une demande qui intéresse les droits attachés à un immeuble, telles que celles notamment prévues par les décrets des 4 janvier et 15 octobre 1955 ou le code des procédures civiles d’exécution.
Dans ces hypothèses, il faudra donc ajouter les mentions de la publicité foncière à son acte d’appel, après les chefs de jugement critiqués.
3. La tentative préalable de conciliation, médiation ou procédure participative
La déclaration d’appel ne faisant pas parties des hypothèses où une mesure amiable doit être préalablement tentée, il n’y a aucune obligation de faire figurer une quelconque mention de ce chef.
Inutile donc de prévoir des mentions complémentaires en application de l’article 54 5° du code de procédure civile.
4. L’indication des modalités de comparution
L’article 54 ajoute désormais l’obligation de faire figurer dans la déclaration d’appel :
« L'indication des modalités de comparution devant la juridiction et la précision que, faute pour le défendeur de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire ».
Les modalités de comparution doivent normalement déjà être mentionnées sur le récapitulatif du greffe puisqu’il s’agit d’une obligation imposée à l’alinéa 1 de l’article 902.
Toutefois :
- C’est une diligence mise à la charge du greffe,
- Les conséquences d’un défaut de comparution ne sont pas mentionnées par toutes les juridictions,
- Surtout, l’article 902 concerne uniquement les cas de représentation par avocat et n’est donc pas applicable aux salariés dans les procédures prud’homales.
Ce dernier cas est pourtant problématique et il fait partie des points de vigilance à avoir sur l’incidence du nouveau décret au regard des mentions à faire figurer sur sa déclaration d’appel. sur puisqu’il s’agit d’une hypothèse dans laquelle le grief, tenant aux honoraires d’avocat engagés inutilement, pourrait être aisément admis. Bien sûr, nous conservons la sécurité de l’article 2241 du code civil, mais mieux vaut éviter ce genre de désagrément.
Dans ces conditions, nous vous invitons à bien vérifier les fichiers récapitulatifs adressés par le greffe afin de s’assurer qu’ils comportent l’indication des conséquences d’un défaut de comparution et qu’ils précisent, dans les appels des décisions prud'homales, la possibilité pour le salarié d’être représenté par un défenseur syndical conformément aux articles R. 1453-2 et R1461-1 du code du travail.
A défaut, il faudra prendre l’habitude de faire effectivement figurer ces mentions complémentaires à la suite des chefs de jugement critiqués.
5. Les pièces sur lesquelles la demande est fondée
Par le renvoi opéré par l’article 901 à l’article 57 du code de procédure civile, la déclaration d’appel doit contenir à peine de nullité :
« dans tous les cas, l'indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée ».
Le premier réflexe consiste à envisager de joindre le bordereau à la déclaration d’appel.
Pourtant, à pousser la réflexion, la nature et l’objet de la déclaration d’appel invitent certainement à adopter une analyse différente.
En effet, si la déclaration demeure l’instrumentum d’une demande, elle ne comporte en revanche aucune prétention et n’a pas, hormis le cas de l’appel compétence de l’article 85, à faire figurer les moyens de faits et de droit qui seront soutenus devant la Cour au soutien des prétentions soumises au premier juge.
Les textes imposent uniquement de faire figurer dans l’acte l’objet de l’appel et son étendue par l’indication des chefs de jugement critiqués.
Or, l’objet de l’appel est défini par l’article 542 qui dispose que :
« L'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel ».
Et si la déclaration d’appel est nécessaire pour obtenir la réformation ou l’annulation d’un jugement, elle n’est pas suffisante puisque seules les conclusions d’appel contiennent, selon l’article 954, « les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation ».
Pour le dire autrement, la déclaration d’appel détermine les chefs de jugement sur lesquels la critique va porter, mais ce sont les conclusions qui soumettent cette critique à la Cour, laquelle ne va statuer que sur « les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion ».
Si bien que la déclaration d’appel ne se fonde sur rien d’autre que la décision objet de l’appel pour saisir la Cour, lequel figure automatiquement sur les récapitulatifs générés par les greffes.
L’on ajoutera que contrairement à l’article 56, relatif à l’assignation, l’article 57 n’exige pas que soit annexé à la déclaration d’appel « la liste des pièces […] dans un bordereau » mais simplement « l’indication des pièces ». C’est certainement un indice supplémentaire qui doit conduire à ne pas réclamé que soient jointes une liste des pièces de fond.
Naturellement, le lecteur pourra rester convaincu de l’inverse, et il existe certainement des arguments contraires, de valeur égale. Dans ce cas-là, il est tout à fait possible d’ajouter à la suite des chefs de jugement critiqués une formulation type qui ferait référence aux pièces de première instance ou encore même le bordereau.
Il demeure néanmoins un risque que ce remède s’avère pire que le mal alors que nous sommes, là encore soumis au régime des irrégularités de forme qui n’entraîneront la nullité qu’à charge pour l’intimé de démontrer le grief que lui cause l’absence d’indication des pièces de fond.
Que restera-t-il de ce grief une fois qu’auront été notifiées des conclusions d’appelant contenant l’indication des pièces et un bordereau ? Probablement rien puisque l’intimé disposera alors d’un à trois mois pour conclure en réponse et qu’il s’agit de délais qui n’ont jamais été jugées contraires aux exigences du procès équitable garanti à l’article 6§1 de la CEDH.
***
Le praticien inquiet des développements qui précèdent pourra se rassurer en se rappelant la sécurité offerte par l’alinéa 2 de l’article 2241 du code civil qui prévoit que l’acte de saisine d’une juridiction nul est néanmoins interruptif du délai de forclusion.
La jurisprudence nous enseigne ainsi qu’il existe encore en procédure civile un -petit- droit à l’erreur et qu’un nouveau délai d’appel va donc courir à compter de la décision qui prononce la nullité de la déclaration. Rien n’est dit en revanche sur la façon de l’annoncer au client…
Pierre-Yves IMPERATORE
Avocat Associé
LEXAVOUÉ Aix-en-Provence