Réforme de la procédure de première instance : panorama
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047902871
Dans le prolongement du rapport du comité des Etats généraux de la justice et des nombreuses communications de la Chancellerie annonçant une réforme d’ampleur de la procédure civile visant à favoriser l’émergence d’une véritable « culture de l’amiable », est paru au Journal officiel un premier décret, daté du 29 juillet 2023 concernant les procédures devant le tribunal judiciaire.
Ce texte introduit au sein du code de procédure civile deux concepts juridiques inédits ;
- L’audience de règlement amiable (articles 774-1 et suivants) ;
- La césure du procès civil (articles 807-1 et suivants).
Avant d’examiner la teneur et la portée de chacune de ces dispositions, il est possible de relever deux points communs, le premier s’agissant de leur entrée en vigueur, le second concernant leur caractère facultatif.
D’une part, l’article 6 du décret précité prévoit en effet que l’ensemble des dispositions du texte sont applicables aux instances introduites à compter du 1er novembre 2023 .
Les nouveaux textes prévoient, d’autre part, que ces deux nouveaux mécanismes auront un caractère facultatif :
- à la demande de l’une des parties ou d’office après avoir recueilli l’avis de ces dernières, s’agissant de l’audience de règlement amiable ;
- à la demande de l’ensemble des parties s’agissant de la clôture partielle et de la césure du procès.
A ce stade, il est donc difficile d’anticiper la place que prendront ces innovations dans les futurs contentieux devant le tribunal judiciaire.
L’observation des nouvelles pratiques au sein des juridictions comme le succès très relatif qu’ont connu certaines innovations récentes fondées, comme la césure, sur l’accord unanime des parties, laissent néanmoins présager un certain succès pour l’audience de règlement amiable tandis que la césure pourrait se révéler une acrobatie juridique des plus théoriques.
- L’audience de règlement amiable (ARA)
Le nouvel article 774-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret du 29 juillet dernier dispose désormais que :
« Le juge saisi d'un litige portant sur des droits dont les parties ont la libre disposition peut, à la demande de l'une des parties ou d'office après avoir recueilli leur avis, décider qu'elles seront convoquées à une audience de règlement amiable tenue par un juge qui ne siège pas dans la formation de jugement dans les cas prévus par la loi.
Cette décision est une mesure d'administration judiciaire. Elle ne dessaisit pas le juge. »
Pensée comme une véritable mise en pratique de la mission de conciliation dévolue au juge aux termes de l’article 21 du code de procédure civile, cette disposition prend place au sein des dispositions communes applicables à l’ensemble des procédures pendantes devant le tribunal judiciaire.
La décision de convoquer les parties à une audience de règlement amiable pourra émaner d’un grand nombre d’organes juridictionnels distincts :
- président de la chambre saisie à l’occasion de l’audience d’orientation (article 776) ;
- juge de la mise en état (article 785) ;
- président du tribunal judiciaire et juge des contentieux de la protection statuant en référé (article 836-1)
La convocation pourra en outre intervenir à tout moment de la procédure et l’article 803, dans sa rédaction issue du décret, va jusqu’à prévoir la possible révocation de l’ordonnance de clôture de l’instruction afin de permettre au juge de la mise en état de procéder à une telle convocation.
La qualification de mesure d’administration judiciaire n’est, quant à elle, pas une surprise, pas plus que l’absence de dessaisissement du juge.
En revanche, , la convocation à l’audience de règlement amiable est étonnement érigée en cause d’interruption de l’instance.
Elle rejoint la liste des causes d’interruption automatique prévues à l’article 369 du code de procédure civile qui réunit les causes traditionnelles (majorité d’une partie, ouverture d’une procédure collective dans les causes où elle emporte assistance ou dessaisissement du débiteur, cessation des fonctions de l’avocat) mais aussi un autre mécanisme, aussi récent que peu usité, la convention de procédure participative aux fins de mise en état.
Sur le plan juridique, et si l’on s’en tient à la définition qu’en donne la doctrine, l’interruption de l’instance était traditionnellement perçue comme un « incident [faisant] cesser provisoirement le procès », « conçu au profit de la partie affectée [et] destiné à lui permettre de prendre ses dispositions en vue d’assurer correctement sa défense »[2].
Après l’innovation introduite par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, qui avait déjà inclus la conclusion de la convention de procédure participative aux fins de mise en état parmi les causes d’interruption de l’instance, cette définition semble avoir quelque peu vécu et le législateur a sans doute, une nouvelle fois, voulu prémunir les parties des effets pervers qui s’attacheraient, avec l’écoulement du temps, aux outils de l’amiable.
Dans cette perspective, l’interruption de l’instance qui s’attache à la convocation à une audience de règlement amiable aura, comme les autres causes d’interruption de l’instance, un caractère interruptif de la péremption d’instance.
Une fois cela posé, le texte se révèle très précis quant aux objectifs assignés à l’audience de règlement amiable (« la résolution amiable du différend entre les parties, par la confrontation équilibrée de leurs points de vue, l'évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs, ainsi que la compréhension des principes juridiques applicables au litige ») comme à son déroulé, dont on retiendra surtout qu’elle intervient :
- en chambre du conseil, hors la présence du greffe et devant un magistrat ne faisant pas partie de la formation de jugement ;
- en présence des parties elles-mêmes, tenues de comparaître en personne, et de leurs avocats lorsque la représentation est obligatoire.
Enfin, il convient de relever que « sauf accord contraire des parties, tout ce qui est dit, écrit ou fait au cours de l’audience de règlement amiable, par le juge et par les parties, est confidentiel », afin de préserver ce qui est habituellement présenté comme l’un des avantages majeurs des modes de règlement amiables des conflits.
- La césure du procès civil
Dans son esprit, le nouvel outil que constitue la césure du procès civil a déjà été largement présenté : il s’agit de limiter l’ampleur du débat soumis, dans un premier temps, au tribunal afin de permettre le prononcé d’une décision rapide dont la teneur devrait conduire les parties à s’entendre, notamment en recourant à une médiation ou une conciliation de justice, sur les autres prétentions et contestations qu’elles soulèvent.
Ces grandes lignes se retrouvent au nouvel article 807-1 qui prévoit que les parties soumettent, au juge de la mise en état les prétentions à l’égard desquelles elles sollicitent un jugement partiel.
Celui-ci, s’il fait droit à la demande, ordonne alors la clôture partielle de l'instruction et renvoie l'affaire devant le tribunal pour qu'il statue au fond sur la ou les prétentions déterminées par les parties.
Ces dispositions n’appellent pas d’observation particulière.
Toutefois, si, comme nous pouvons le penser, l’audience de règlement amiable pourrait connaître un certain succès dans un contexte marqué par un engouement très marqué pour les modes amiables à tous les niveaux de la hiérarchie judiciaire, la césure pourrait bien ne pas susciter le même intérêt.
Cela tient tout d’abord au champ procédural plus restreint dans lequel la césure intervient puisqu’elle ne concerne que les procédures dans lesquelles un juge de la mise en état a été désigné, excluant ainsi notamment, et de façon assez compréhensible, les procédures de référé.
L’autre frein majeur résulte quant à lui du premier alinéa du nouvel article 807-1 qui prévoit que la demande de clôture partielle de l’instruction, c'est-à-dire de césure du procès, ne peut intervenir qu’à l’initiative de « l’ensemble des parties constituées ».
Une telle unanimité pourrait se révéler difficile à obtenir…
Toutefois, à bien y réfléchir, l’intérêt de la partie qui, par hypothèse, voudrait voir la procédure s’éterniser ne réside peut-être pas d’un refus systématique tandis que la partie demanderesse aura tout intérêt à se méfier d’une victoire à la Pyrrhus.
L’article 544 du code de procédure civile a en effet été complété afin d’y inclure les jugements partiels parmi les décisions susceptibles d’appel, au même titre que les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire ou que les jugements qui tranchent tout le principal.
Ainsi, un jugement partiel qui, bien que touchant au principal, ne viendrait trancher qu’une question de principe, sera susceptible d’un appel immédiat, instruit et jugé à bref délai conformément à l’article 905 du code de procédure civile, lui aussi modifié par le décret du 29 juillet 2023.
Dans le même temps, la mise en état se poursuivra devant le tribunal s’agissant des prétentions qui n’auront pas fait l’objet de la clôture partielle.
Toutefois, le nouvel article 807-3 prévoit que la clôture total de l’instruction ne pourra intervenir avant l’expiration du délai d’appel à l’encontre du jugement partiel et, surtout, lorsqu’un appel aura été formé, avant le prononcé de l’arrêt de la cour d’appel.
La procédure de première instance se trouvera ainsi « gelée », au détriment de la partie qui aura cru bon d’obtenir une décision de pur principe.
Matthieu Boccon-Gibod et Martin Boëlle
Avocats LX Paris-Versailles
[2] S. GUINCHARD, Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz, 2021-2021
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