Délai d’appel, savoir conter et compter !
Le délai de d’appel ne court pas lorsque la décision critiquée porte une mention erronée sur sa qualification, sauf à ce que l’acte de notification mentionne la voie de recours effectivement ouverte.
Civ. 2e, 3 mars 2022, F-B, n° 20-17.419
Voilà une solution emprunte de classicisme au regard d’une situation, elle, plutôt inhabituelle qui explique la publicité donnée à cet arrêt de cassation. Un liquidateur amiable relève appel d’une ordonnance du juge de la mise en état qui avait retenu l’incompétence du tribunal de grande instance de Paris. L’appelant n’ayant pas suivi la procédure à jour fixe imposée en pareille matière par application des articles 83 et 84 du code de procédure civile, un incident fut élevé par les intimés devant le conseiller de la mise en état qui les débouta de leur demande de caducité de la déclaration d’appel. Sur déféré, la cour d’appel de Paris réforma toutefois l’ordonnance et jugea caduque la déclaration d’appel. Devant la cour de cassation, le demandeur au pourvoi reprochait à la cour d’avoir estimé que la règle de l’article 680 du code de procédure civile, qui impose une notification irréprochable pour faire courir le délai d’appel, ne concerne que l’irrégularité contenue dans l’acte de notification de la décision, non pas dans la décision elle-même, tandis qu’aucune notification de l’ordonnance n’était intervenue. La deuxième chambre civile, au visa des articles 83, 84, 536 et 680 du code de procédure civile, statue ainsi :
« 5. Selon le premier de ces textes, lorsque le juge s’est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision peut faire l’objet d’un appel.
6. Selon le deuxième, en cas d’appel, l’appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d’appel, saisir dans le délai d’appel, le premier président en vue, selon le cas, d’être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d’une fixation prioritaire de l’affaire.
7. En application des deux derniers textes, le délai de recours ne court pas lorsque le jugement critiqué porte une mention erronée sur sa qualification, à moins que l’acte de notification de cette décision n’ait indiqué la voie de recours qui était effectivement ouverte.
8. Il en résulte que le délai d’appel, dans lequel l’appelant doit saisir le premier président en vue d’être autorisé à assigner à jour fixe, ne court pas lorsque le jugement critiqué porte une mention erronée sur sa qualification, à moins que l’acte de notification de cette décision n’ait indiqué la voie de recours qui était effectivement ouverte.
9. Après avoir énoncé, à bon droit, que l’ordonnance du juge de la mise en état était susceptible d’appel dans les conditions prévues aux articles 83 et 84 du code de procédure civile et pour constater la caducité de la déclaration d’appel, l’arrêt retient, en substance, que, s’agissant de l’erreur invoquée dans l’ordonnance frappée d’appel, l’article 680 du code de procédure civile prévoit que l’acte de notification doit indiquer de manière très apparente le délai d’appel et que cette règle ne concerne que l’irrégularité contenue dans l’acte de notification d’un jugement, et non dans le jugement lui-même et qu’en l’espèce, l’erreur concerne la décision mais non sa notification. 10. Il relève que les dispositions des articles 83 et 84 s’imposent et que l’appelant ne justifiant pas avoir saisi le premier président d’une requête tendant à être autorisé à assigner les intimés à jour fixe, la déclaration d’appel doit être déclarée caduque.
11. En se déterminant ainsi, alors que l’ordonnance frappée d’appel comportait la mention d’une voie de recours erronée et qu’il lui appartenait de rechercher si un acte de notification mentionnant la voie de recours ouverte par l’article 84 du code de procédure civile avait été effectué, à défaut duquel le délai d’appel ne pouvait commencer à courir, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Un jour fixe comme une fixette
Il faut le savoir par cœur, dès lors que le premier juge s’est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond, l’appelant n’a d’autre choix, lorsque les parties sont tenues de constituer avocat, que de suivre la procédure à jour fixe telle qu’elle résulte des articles 84 et 85 mais encore des articles 917 et suivants du code de procédure civile (Civ. 2e, 4 mars 2021, n° 19-24.293, Dalloz actualité, 24 mars 2021, obs. C. Lhermitte). C’était ici l’erreur de l’appelant qui avait formé un appel classique.
Et l’obligation est facile à retenir : il faut en passer par là, quelle que soit la décision attaquée et la juridiction du premier degré (Civ. 2e, 11 juill. 2019, n° 18-23.617 et 19-70.012, Dalloz actualité, 16 juill. 2019, obs. C. Bléry ; D. 2019. 1499 ; ibid. 1792, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero ; ibid. 1380, obs. A. Leborgne ; 2 juill. 2020, n° 19-11.624, Dalloz actualité, 1er sept. 2020, obs. C. Bléry ; D. 2020. 1471 ; RTD civ. 2021. 482, obs. N. Cayrol ). À peine de caducité de la déclaration d’appel, l’appelant doit donc saisir le premier président en vue, selon le cas, d’être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d’une fixation prioritaire de l’affaire. S’agissant d’un appel d’une ordonnance du juge de la mise en état statuant sur la compétence sans statuer sur le fond, la procédure avec représentation obligatoire s’imposait par conséquent et l’appelant devait suivre la procédure à jour fixe. Ce qu’il ne fit pas, et l’intimé éleva logiquement un incident devant le conseiller de la mise en état puisque l’affaire avait suivi le circuit classique et non à jour fixe dans lequel on ne trouve ni mise en état ni conseiller de la mise en état.
Une comptine comme une rengaine
On le sait depuis toujours. Dès lors que l’article 680 dispose que « L’acte de notification d’un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d’opposition, d’appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l’une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé » et que la jurisprudence de la cour de cassation, parfaitement ancrée, rappelle qu’à défaut le délai d’appel n’a pas couru, la solution semblait facile à dégager pour la cour de Paris : la notification de l’ordonnance mentionnait-elle, conformément à l’article 84, que le délai pour interjeter appel était de quinze jours à compter de la notification du jugement et que l’appel-compétence devait suivre la procédure à jour fixe ? Mais la rengaine semblait ignorée de la cour d’appel de Paris. Pourtant, la cour de cassation a toujours abordé la réunion des conditions de l’article 680 avec une rigueur répétitive. Très tôt la haute cour a affirmé que l’acte de notification d’un jugement qui mentionne différentes voies de recours sans préciser celle qui est ouverte au cas précis est irrégulière et ne fait pas courir le délai d’appel (Soc. 8 nov. 1979, n° 78-40.708), la notification ou la signification ne pouvant, comme on le voit encore trop souvent, mentionner des délais distincts selon la voie de recours que la partie souhaiterait exercer. Pas d’option en la matière. De même, « constitue une modalité du recours le lieu où celui-ci doit être exercée (Civ. 2e, 10 sept. 2009, n° 07-13.015,D. 2009. 2169 ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; ibid. 532, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et S. Grignon Dumoulin ; JCP n° 39, 21 sept. 2009, obs. D. Cholet) ou « l’indication que l’avocat constitué pour l’appelant ne peut être qu’un avocat admis à postuler devant le tribunal de grande instance dépendant du ressort de la cour d’appel concernée » (Civ. 2e, 4 sept. 2014, n° 13-23.016, D. 2014. 1769 ; Gaz Pal, 21-23 déc. 2014, obs. H. Herman). Dans la même veine, l’acte de notification d’un jugement de conseil de prud’hommes doit donc, pour faire courir le délai de recours, indiquer que le défenseur syndical que peut constituer l’appelant est soit celui qui l’a assisté en première instance soit un défenseur syndical territorialement compétent pour exercer ses fonctions devant la cour d’appel concernée (Soc. 29 sept. 2021, n° 20-16.518). Et il en est ainsi des procédures à jour fixe. Viole donc l’article 680, la cour d’appel qui juge le second appel formé selon la procédure à jour fixe irrecevable comme tardif alors que l’acte de signification ne mentionnait pas les modalités de l’appel contre le jugement d’orientation qui est formé, instruit et jugé selon la procédure à jour fixe en application de l’article R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution » (Civ. 2e, 24 sept. 2015, n° 14-23.768, Dalloz actualité, 12 oct. 2015, obs. F. Mélin ; D. 2016. 1279, obs. A. Leborgne ; 3 déc. 2015, n° 14-24.909, Dalloz actualité, 16 déc. 2015, obs. M. Kebir ; 28 janv. 2016, n° 15-11.391, D. 2016. 1279, obs. A. Leborgne ).
Point de nullité en l’espèce, et donc nécessité de démontrer un grief, la conséquence est, tout simplement, que le délai n’a pas couru, l’assistance d’un avocat en première instance et en appel, « professionnel avisé » pour reprendre une expression chère à la cour de cassation, étant là encore indifférente. Ainsi, face à une difficulté procédurale en appel, la vérification immédiate de l’acte de notification ou de signification de la décision doit être une fonction réflexe.
Il court, il court, le délai
Oui, mais sous certaines conditions. Pour retenir la caducité de la déclaration d’appel, la cour de Paris s’arrêta à la lecture stricte de l’article 680 pour considérer, bien qu’aucune notification du greffe ne fût intervenue, que cet article « ne concerne que l’irrégularité contenue dans l’acte de notification d’un jugement, et non dans le jugement lui-même ». Et la cour d’appel de Paris avait raison ! L’article 680 ne vise effectivement que les délais et les modalités de l’appel de la notification (ou signification) d’une décision. Le syllogisme juridique était en marche : pas de notification, pas d’irrégularité.
Mais les juges d’appel ne pouvaient s’arrêter en chemin puisque la décision précisait elle-même la voie de recours, erronée donc. Et aucune notification ou signification, de nature à faire courir le délai contre les parties, n’était de surcroît intervenue. L’analyse de la cour d’appel procédait donc d’une double erreur.
La première, parce que l’article 536 dispose que « La qualification inexacte d’un jugement par les juges qui l’ont rendu est sans effet sur le droit d’exercer un recours ». Dit autrement, la qualification donnée par le premier juge sur la possibilité ou non de former appel est sans conséquence sur sa recevabilité. La situation est connue, c’est celle d’un jugement qui préciserait, faussement, que le tribunal statue en premier ou en dernier ressort, la qualification ne pouvant alors influer sur le droit d’appel. Aussi, assimilant cette qualification inexacte avec l’indication d’une voie de recours erronée en combinant astucieusement les articles 536 et 680, pour se détacher de la notification elle-même, ou plutôt de son absence, la deuxième chambre civile considère à raison que la décision qui donne une voie de recours erronée ou incomplète ne fait pas plus courir le délai.
La seconde erreur, liée à la première, était plus évidente. Les juges, sur déféré, auraient dû s’assurer de l’existence d’un acte de notification de l’ordonnance « à défaut duquel le délai d’appel ne pouvait commencer à courir ». La cour d’appel aurait dû se poser la question de l’existence d’un acte régulier dénonçant l’exacte voie de recours, les délais et ses modalités. Rappelons-le, dans le cas de l’appel-compétence, c’est au greffe de procéder à cette notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée aux parties. A défaut, celles-ci peuvent procéder à la signification de la décision en précisant ces mêmes modalités, c’est-à-dire selon la procédure à jour fixe, afin de faire courir le délai d’appel-compétence. Ainsi, en l’absence de notification par le greffe ou d’une signification à l’initiative d’une partie, puisqu’une notification peut toujours prendre la forme d’une signification alors même que la loi l’aurait prévue sous une autre forme par application de l’article 651, alinéa 3, du code de procédure civile, la cour se devait de constater que le délai de l’appel-compétence n’avait pas couru.
Un conte pas si enfantin
Tout compte fait, pourquoi compter sur un pourvoi ? Après tout, plutôt que de former un pourvoi, n’était-il pas plus opportun de former un second appel, et donc un appel-compétence selon la procédure à jour fixe cette fois, puisque le délai n’avait pas couru ? Bien sûr, mais la cour d’appel semblait avoir anticipé la question comme l’enseigne le moyen annexé au pourvoi. Alors que l’appelant indiquait justement que le délai d’appel n’avait pas couru, la cour d’appel estimait « que la faculté de faire de nouveau appel ne pouvait être tranchée dans le cadre de la présente instance, quand la caducité le cas échéant encourue procédait de l’absence de saisine du premier président dans le délai d’appel et non de l’absence de déclaration d’appel dans ce même délai, de sorte qu’aucune réitération de l’appel n’était nécessaire ». Pour la cour, l’appel avait bien été régularisé, c’était l’absence de saisine du premier président à jour fixe qui manquait, aucune réitération de l’appel n’étant donc nécessaire. Mais bien au contraire, il fallait former immédiatement un nouvel appel puisque le délai d’appel n’avait pas couru. À défaut, l’appelant se dirigeait dangereusement vers une caducité et, potentiellement, vers une impossible réitération de l’appel. Et c’était là sans doute l’un des enjeux du pourvoi finalement, notamment dans l’hypothèse d’une absence d’appel-compétence à jour fixe avant que la caducité ne soit prononcée. Car si certes la recevabilité d’un second appel ne pouvait être tranchée à l’occasion de l’examen du premier comme le dit sur déféré la cour d’appel, la cassation et l’annulation de l’arrêt permettra d’éviter toute nouvelle discussion autour l’article 911-1 du code de procédure civile qui interdit un nouvel appel dès lors qu’une sanction de caducité de la déclaration d’appel a été prononcée. Il existait pourtant une échappatoire provenant de l’alinéa 3 de l’article 911-1 lui-même qui interdit un nouvel appel lorsque la déclaration d’appel a été frappée de caducité « en application des articles 902, 905-1, 905-2 ou 908 », pas en raison d’une absence de saisine du premier président. Et certainement pas lorsque le délai d’appel n’a jamais couru. Bref, un jeu d’enfants.
Romain Laffly,
Avocat associé,
Lexavoué Lyon
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