CONTEXTE
La loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 prévoyait, en ses articles 26 et 27, la création, à titre expérimental et sur une partie seulement du territoire, de tribunaux des activités économiques (TAE) en lieu et place de certains tribunaux de commerce.
Ces juridictions, qui connaissent d’un contentieux élargi et devant lesquelles s’impose une nouvelle « contribution pour la justice économique » (CJE), ont vu le jour le 1er janvier 2025.
Aux premières heures de l’expérimentation, les praticiens peuvent se reposer sur quelques certitudes mais nombre de questions pratiques demeurent, tant au stade de la mise en œuvre qu’au regard des effets qu’auront ces nouvelles dispositions sur la masse et le traitement des contentieux.
ÉLÉMENTS CLÉS
Entrée en vigueur
- Périmètre géographique
La loi d’orientation et de programmation du 20 novembre 2023 prévoyait que l’expérimentation des tribunaux des activités économiques viserait « au moins neuf et au plus douze tribunaux de commerce ».
C’est finalement 12 juridictions consulaires (dont des juridictions spécialisées et d’autres de taille intermédiaire) qui sont transformées en tribunaux des activités économiques aux termes de l’arrêté du 5 juillet 2024 relatif à l’expérimentation du tribunal des activités économiques : Avignon, Auxerre, Le Havre, Le Mans, Limoges, Lyon, Marseille, Nancy, Nanterre, Paris, Saint-Brieuc et Versailles.
- Application dans le temps
La réforme est entrée en vigueur le 1er janvier 2025. Elle doit s’étendre sur une durée de quatre ans, soit jusqu’au 31 décembre 2028.
Six mois au mois avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport d’évaluation concernant chacun des deux dispositifs (TAE et CJE).
Une compétence matérielle élargie
Les douze tribunaux des activités économiques absorbent certaines compétences des tribunaux judiciaires et deviennent seuls compétents pour traiter des procédures de sauvegarde, redressement judiciaire, liquidation judiciaire et procédures amiables de tous les professionnels quels que soient leur statut et leur activité (y compris les entreprises agricoles, associations, sociétés civiles et professions libérales). Cette extension des compétences concerne également les baux commerciaux en lien avec la procédure collective.
Seule exception : les professions réglementées du droit, qui relèvent toujours de la compétence du tribunal judiciaire.
Le législateur attend notamment de cette unification un effet sur la durée des procédures de liquidation judiciaire, le taux de réformation des décisions et la qualité du service rendu au justiciable. Autant de critères qui devraient décider, à l’issue de la phase d’expérimentation, de la pérennisation de cette nouvelle juridiction des activités économiques.
La nouvelle contribution pour la justice économique
Alors que l’expérimentation vient à peine de débuter, l’attention des praticiens s’est naturellement portée sur une innovation majeure : la création d’une contribution pour la justice économique.
- Eligibilité et modalités de calcul
Les critères d’éligibilité et de calcul de la nouvelle contribution pour la justice économique reposent sur trois critères :
– le montant de la demande initiale : supérieure à 50 000 euros (les demandes incidentes, reconventionnelles et additionnelles ne sont pas prises en compte)
– le nombre de salariés de l’entreprise : plus de 250 salariés
– le chiffre d’affaires et/ou le bénéfice sur les trois dernières années pour les personnes morales et le revenu fiscal de référence par part pour les personnes physiques.
EXEMPLE POUR UNE PERSONNE MORALE :
Montant du chiffre d’affaires annuel moyen sur les 3 dernières années (en millions d’euros) |
Montant du bénéfice annuel moyen sur les 3 dernières années |
Montant de la contribution |
Supérieur à 50 et inférieur ou égal à 1 500 |
Supérieur à 3 millions d’euros | 3 % du montant de la valeur totale des prétentions figurant dans l’acte introductif d’instance (dans la limite d’un montant maximal de 50 000 €) |
Supérieur à1 500 | Supérieur à 0 |
5 % du montant de la valeur totale des prétentions figurant dans l’acte introductif d’instance (dans la limite d’un montant maximal de 100 000 €) |
- Détermination par le greffe
Le demandeur doit joindre à l’acte introductif d’instance les documents justifiant de sa situation afin que le greffier puisse déterminer s’il est assujetti ou non au versement de la contribution. Sauf exceptions prévues par la loi ou le décret, sont concernées toutes les demandes initiales, même non contradictoires, en ce compris notamment les requêtes et injonctions de payer.
Le greffier calcule ensuite le montant de la contribution et informe, par tout moyen avant la première audience, le demandeur du montant à régler et en assure le recouvrement.
La teneur et l’intensité du contrôle qu’exerceront les greffiers près les nouveaux tribunaux des activités demeurent incertaines (déclaration sur l’honneur, examen des pièces comptables et relatives au personnel de l’entreprise, attestations,…) bien que la circulaire de présentation de la contribution pour la justice économique diffusée le 6 février 2025 par la Direction des affaires civiles et du sceau, qui détaille la nature des documents à produire par le demandeur pour justifier de sa situation au regard de l’assujettissement ou non à la contribution, participe d’une première harmonisation.
Avant une éventuelle uniformisation , il conviendra de se rapporter aux usages qui se mettent peu à peu en place devant les nouveaux tribunaux des activités économiques.
- Principaux cas d’exclusion et charge à l’issue du procès
En dehors des cas où le versement de la contribution est expressément exclu en raison de la nature de la procédure (ouverture d’une procédure amiable ou collective) ou de la qualité du demandeur (Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements), la contribution sera remboursée en cas de :
- décision constatant l’extinction de l’instance par suite d’un désistement ;
- transaction conclue suite au recours à un mode amiable de résolution des différends (lorsqu’elle met fin au litige).
À l’issue du procès et si les parties ne sont pas parvenues à un accord amiable, la contribution suivra le régime des dépens, de sorte que, suivant le seul poids économique du demandeur, le défendeur aura à supporter une facture complémentaire plus ou moins salée.
Il est précisé qu’en cas de recours, la contribution reste conservée jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la décision qui statue sur ce recours.
- Sanction
La sanction en cas de défaut de versement de la contribution est sévère puisqu’il est prescrit à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, après avoir sollicité les observations du demandeur et sauf régularisation préalable.
La possibilité, pour le défendeur, de se saisir de ce moyen de procédure pour mettre un terme au litige demeure quant à elle incertaine.
- Effets prévisibles
Outre un abondement précieux aux finances publiques, l’objectif poursuivi à travers la création de la contribution pour la justice économique transparaît des termes mêmes de l’article 27 de la loi du 20 novembre 2023, qui dispose que l’évaluation de cette mesure se fera notamment au regard des « effets de celle-ci, selon les domaines contentieux, en matière de recours à des modes de règlement alternatif des conflits ».
Durant cette phase d’expérimentation, il sera en outre intéressant d’observer, dans les matières où les parties disposent, légalement ou contractuellement, d’une marge de manœuvre dans la détermination de la juridiction territorialement compétente voire du mode de règlement du litige lui-même, d’éventuels « effets d’aubaine ».
Face à une expérimentation qui n’affecte qu’une partie du territoire, on ne peut en effet exclure que certains justiciables, économiquement importants et fréquemment présents, par la nature de leur activité, devant les juridictions concernées par l’expérimentation, aient en tête la contribution pour la justice économique lors de la rédaction de clauses attributives de juridiction voire de clauses compromissoires.
À RETENIR !
L’avenir dira si les décisions rendues par les tribunaux des activités économiques sont effectivement plus coûteuses, rapides et qualitatives mais dans l’immédiat, la mise en place de cette expérimentation ne dispensera pas les praticiens de continuer de veiller devant l’ensemble des juridictions commerciales à communiquer par voie électronique (via le RPVA ou désormais SECURIGREFFE) en se conformant aux protocoles de procédure signés localement.
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