Solution
La désignation du juge de la mise en état dans une instance, en application de l’article 789 du Code de procédure civile, ne fait pas obstacle à la saisine du juge des référés pour statuer sur un litige lorsque l’objet de ce litige est différent de celui dont est saisie la juridiction du fond.
Impact
Si le tribunal judiciaire est saisi d’une demande d’annulation de préemption par les acquéreurs de parcelles, le juge des référés, même saisi postérieurement à la désignation du juge de la mise en état compétent pour ordonner toutes mesures provisoires, mêmes conservatoires, peut statuer sur la demande d’expulsion dirigés contre eux.
Cass. 2e civ., 16 janv. 2025, n° 22-19.719, F-B : JurisData n° 2025-000191
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Vu l’article 789 du Code de procédure civile :
6. Selon ce texte, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent à l’exclusion d’une autre formation du tribunal pour ordonner toutes mesures provisoires, mêmes conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires.
7. La désignation du juge de la mise en état dans une instance, en application de ce texte, ne fait pas obstacle à la saisine du juge des référés à fin de statuer sur un litige lorsque l’objet de ce litige est différent de celui dont est saisie la juridiction du fond.
8. Pour déclarer le juge des référés incompétent pour connaître de la demande tendant à l’expulsion des consorts [P], l’arrêt relève que ceux-ci ont assigné la SAFER en annulation des préemptions exercées et qu’un juge de la mise en état a été désigné le 25 février 2021 dans le cadre de cette instance puis retient que le juge des référés ne saurait, dès lors, être compétent, le juge de la mise en état étant seul compétent jusqu’à l’ordonnance de clôture.
9. En statuant ainsi, alors qu’elle était saisie en référé d’une demande d’expulsion des occupants de la parcelle préemptée par la SAFER, litige dont l’objet était différent de celui dont était saisi la juridiction du fond, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
NOTE : Chevauchement de pouvoirs
Lorsque l’on discute des pouvoirs du juge de la mise en état et du juge des référés, qui ne sont pas les mêmes mais peuvent parfois être identiques, la temporalité dans la désignation est un élément clé. Obéissant à des fondements juridiques différents, la concurrence n’est pas déloyale, mais elle n’est pas libre non plus. Si la désignation d’un expert judiciaire par exemple peut émaner, d’office ou à la demande d’une partie, du tribunal statuant au fond, les parties, pour gagner du temps, peuvent bien sûr se diriger vers le juge des référés ou le juge de la mise en état. Mais s’il est bien compris de ces parties qu’elles ne pourront solliciter l’un et l’autre d’une même demande, le problème survient lorsqu’elles sont confrontées à une concurrence de pouvoir. La date de saisine prend ici tout sens. Ainsi, si le juge des référés est saisi postérieurement à la désignation du juge de la mise en état, c’est-à-dire après enrôlement de l’ assignation au fond devant le tribunal judiciaire, le juge des référés est incompétent pour accorder une provision (Cass. 2e civ., 9 déc. 1976, n° 76-10.130. – Cass. 2e civ., 11 janv. 1995, n° 93-12.889). Certes il est a priori compétent, mais il ne l’est plus en présence d’un juge de la mise en état précédemment désigné qui dispose, lui aussi, de ce pouvoir. Quant à la demande d’expertise introduite devant le juge des référés sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, c’est-à-dire « avant tout procès », elle doit être rejetée si une instance au fond a été précédemment engagée. In futurum, pour le futur donc. Mais l’absence d’instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de cette demande, s’apprécie à la date de la saisine du juge, peu important que la saisine du juge du fond soit intervenue ultérieurement (Cass. 2e civ., 28 juin 2006, n° 05-19.283, FP-P+B+R : JurisData n° 2006-034257 ; Procédures 2006, comm. 205, obs. R. Perrot).
Toutefois, dans la droite ligne de cet arrêt, encore faut-il que le litige soit identique. Ainsi, « L’existence d’une instance en cours ne constitue un obstacle à une mesure d’instruction in futurum que si l’instance au fond est ouverte sur le même litige à la date de la requête » (Cass. 2e civ., 30 sept. 2021, n° 19-26.018, F-B : JurisData n° 2021-015156 ; Procédures 2021, comm. 316, obs. Y. Strickler ; JCP G 2021, act. 1085, obs. D. Cholet). Au cas présent, les parties avaient assigné la SAFER devant le tribunal judiciaire aux fins de contester le droit de préemption qu’elle venait d’exercer pour des parcelles dont elles s’étaient portées acquéreurs. Mais, quelques mois plus tard, c’est cette fois la SAFER qui saisit le juge des référés pour voir ordonner sous astreinte la libération des parcelles occupées par ces mêmes acquéreurs. Le juge des référés avait dit n’y avoir lieu à référé, et appel avait été formé puisque celui-ci, en statuant, avait vidé sa saisine. Là réside une différence notable entre le juge des référés et le juge de la mise en état, s’exprimant cette fois entre la voie de recours extensive de l’ article 490 du Code de procédure civile et celle, restrictive, de l’article 795 du même code qui ne dessaisit pas, pas toujours on le verra, le tribunal. À son tour, la cour d’appel de Besançon estima, pour se déclarer incompétente, qu’un juge de la mise en état avait été antérieurement désigné, celui-ci étant donc seul compétent jusqu’à l’ordonnance de clôture. Mais, comme dans un raisonnement que l’on dirait analogique avec celui de l’autorité de la chose jugée, le litige entre les mêmes parties et qui pouvait avoir une même cause, n’avait pas le même objet : l’assignation au fond était destinée à obtenir l’annulation des préemptions exercées par la SAFER alors que le juge des référés était saisi, et partant la cour d’appel statuant dans la limite des pouvoirs de ce dernier, d’une demande d’expulsion des occupants de la parcelle par elle préemptée.
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PROCÉDURES – N° 03 – MARS 2025 – © LEXISNEXIS SA