Solution
En procédure sans représentation obligatoire et même dans une procédure applicable à la profession d’avocat comme celle relative au contrat de collaboration se déroulant entre professionnels du droit, la déclaration d’appel qui mentionne que l’appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d’appel, en omettant d’indiquer les chefs du jugement critiqués, défère à la connaissance de la Cour l’ensemble des chefs de ce jugement.
Impact
Si cette solution conforte la dernière jurisprudence de la Cour de cassation en matière de procédure orale, elle est à nouveau mise en perspective par le décret du 29 décembre 2023 applicable aux instances introduites au 1er septembre 2024.
Cass. 2e civ., 12 déc. 2024, n° 22-17.581, F-B : JurisData n° 2024-023451
[…]
Vu les articles 562 et 933, ce dernier dans sa rédaction issue du décret n° 2020-1452 du 27 novembre 2020, du Code de procédure civile et 16, 179-1 et 277 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat :
4. Selon le premier de ces textes, l’appel défère à la cour d’appel la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
5. Selon le deuxième, régissant la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel, la déclaration désigne le jugement dont il est fait appel, précise les chefs du jugement critiqués auquel l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible, et mentionne, le cas échéant, le nom et l’adresse du représentant de l’appelant devant la cour.
6. Il résulte des troisième et quatrième, que le recours contre une décision du bâtonnier statuant en matière de différend entre avocats à l’occasion de leur exercice professionnel est formé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d’appel ou remis contre récépissé au greffier en chef et est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire.
7. Selon le cinquième, il est procédé comme en matière civile pour tout ce qui n’est pas réglé par le décret.
8. Il résulte de la combinaison de ces trois derniers textes que le contenu du recours formé devant la cour d’appel et ses effets, lesquels ne sont pas réglés par le décret, sont régis par les deux premiers de ces textes.
9. Or, en matière de procédure sans représentation obligatoire, y compris lorsque les parties ont choisi d’être assistées ou représentées par un avocat, la déclaration d’appel qui mentionne que l’appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d’appel, en omettant d’indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s’entendre comme déférant à la connaissance de la cour d’appel l’ensemble des chefs de ce jugement (2e Civ., 29 septembre 2022, pourvoi n° 21-23.456, publié).
10. Pour constater l’absence d’effet dévolutif du recours formé par la société et par voie de conséquence, l’absence de saisine de la cour d’appel à l’égard du recours principal, l’arrêt retient que si, dans la procédure sans représentation obligatoire, applicable en l’espèce, il est admis que la déclaration d’appel qui omet d’indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s’entendre comme déférant à la connaissance de la cour l’ensemble des chefs de ce jugement, il en va toutefois autrement en matière de procédure applicable à la profession d’avocat puisqu’il s’agit d’une procédure spéciale, dérogatoire au droit commun, se déroulant par définition entre professionnels du droit à l’égard desquels la charge procédurale imposée par l’article 933 du Code de procédure civile ne peut être considérée comme excessive. La déclaration de la société ne mentionnant aucun chef de la décision attaquée, l’arrêt en déduit qu’elle n’a pas produit d’effet dévolutif.
11. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés […]
NOTE : Rien ne va plus, faites vos jeux
Une avocate avait saisi le bâtonnier à la suite de la rupture de son contrat de collaboration au sein d’une société d’avocats. Le 14 juin 2021, le bâtonnier jugea nulle et discriminatoire cette rupture et condamna la société d’avocats à verser à l’avocate différentes sommes. Saisie par la société d’avocats du recours contre la décision du bâtonnier, la cour d’appel de Bordeaux, le 12 avril 2022, constata l’absence d’effet dévolutif de l’appel et ainsi son absence de saisine dès lors que l’acte d’appel, rédigé par un avocat dans ce litige entre avocats, n’indiquait aucun chef du jugement critiqué. La messe eût été dite en procédure avec représentation obligatoire tant la jurisprudence est ancrée depuis 2020 (Cass. 2e civ., 30 janv. 2020, n° 18- 22.528 : JurisData n° 2020-001105 ; Procédures 2020, comm. 55, obs. H. Croze ; JCP G 2020, 336, note P. Gerbay ; Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly), mais la société demanderesse au pourvoi s’emparait bien sûr de la spécificité de la matière, sans représentation obligatoire, qui devait la faire échapper à la règle posée par la Cour de cassation en application des articles 901 et 562 du Code de procédure civile. Le moyen du pourvoi avançait que l’appel de la décision du bâtonnier est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire et qu’ainsi la cour d’appel avait violé l’article 933 du Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, ensemble l’article 16, alinéa 1er, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. Si le moyen avait toute chance d’emporter la mise, ce n’était pas tant au regard de la lettre des textes que de la jurisprudence de la Cour de cassation. En effet, l’article 933 du Code de procédure civile, applicable en procédure orale, précisait, dans sa version alors applicable, que doivent figurer dans la déclaration d’appel « les chefs du jugement critiqués auquel l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible », à l’instar de l’article 901 du même code en procédure écrite. Mais la considération de la procédure orale, par le fait même que les parties peuvent se défendre sans l’assistance d’un avocat, invite bien sûr à la bienveillance, à commencer par celle de la Haute Cour qui, au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, estima que « le droit à l’accès au juge implique que les parties soient mises en mesure effective d’accomplir les charges procédurales leur incombant. L’effectivité de ce droit impose, en particulier, d’avoir égard à l’obligation faite ou non aux parties de constituer un avocat pour les représenter »,tandis encore que la procédure sans représentation obligatoire et l’article 933 du CPC « instaurent un formalisme allégé, destiné à mettre de façon effective les parties en mesure d’accomplir les actes de la procédure d’appel », de sorte que juger le contraire constituerait pour l’appelant « une charge procédurale excessive » puisqu’il n’est « pas tenu d’être représenté par un professionnel du droit » (Cass. 2 e civ., 9 sept. 2021, n° 20-13.662, FS-B+R : JurisData n° 2021-013754 ; Procédures 2021, comm. 291, obs. Y. Strickler ; JCP S 2021, 1280, obs. A. Bouilloux ; Dalloz actualité, 5 oct. 2021, C. Lhermitte). Le 30 juin 2022, la deuxième chambre civile insistait en rappelant notamment que si les règles dégagées en procédure avec représentation obligatoire « sont dépourvues d’ambiguïté pour des parties représentées par un professionnel du droit (Cass. 2 e civ., 2 juill. 2020, n° 19-16.954, F-P+B+R+I : JurisData n° 2020-009390 ; Procédures 2020, comm. 163, obs. S. Amrani Mekki), un tel degré d’exigence dans les formalités à accomplir par l’appelant en matière de procédure sans représentation obligatoire constituerait une charge procédurale excessive, dès lors que celui-ci n’est pas tenu d’être représenté par un professionnel du droit. La faculté de régularisation de la déclaration d’appel ne serait pas de nature à y remédier » (Cass. 2 e civ., 30 juin 2022, n° 21-15.003, F-B : JurisData n° 2022-010761 ; Procédures 2022, comm. 220, obs. R. Laffly). Elle insistait, mais sans dire si, dans une procédure orale dans laquelle les parties étaient assistées d’un avocat, ce même « professionnel du droit » pouvait s’affranchir des règles là où il en est tenu en procédure écrite. Là était la question en suspens, là était le cheminement de la cour de Bordeaux pour laquelle, finalement, on est avocat ou on ne l’est pas ! Et quand on l’est, on l’est jusqu’au bout et quelle que soit la procédure, à commencer dans une procédure entre professionnels de la profession, celle-là même où les parties vont jusqu’à se confondre avec les avocats ! La charge procédurale imposée par l’article 933 du Code de procédure civile ne pouvait donc, selon le mot de la cour d’appel de Bordeaux et celui de la Cour de cassation, être considérée comme excessive. Le raisonnement se tenait parfaitement. Oui mais voilà, quelques mois après l’arrêt de la cour de Bordeaux, la deuxième chambre civile reprenait son ouvrage pour affirmer, au visa des articles 562 et 933 du CPC, qu’en procédure sans représentation obligatoire, même si les parties sont assistées ou représentées par avocat, la déclaration d’appel qui omet d’indiquer les chefs du jugement critiqués défère à la cour d’appel l’ensemble des chefs de ce jugement. Et pour éviter de revenir une quatrième fois, elle en profitait pour répondre à une question qui ne lui était pas posée, celle de l’objet de l’appel, pour dire qu’il en était de même si l’acte d’appel ne précise pas si l’appel tend à l’annulation ou à la réformation du jugement (Cass. 2 e civ., 29 sept. 2022, n° 21-23.456, FS-B : JurisData n° 2022-015659 ; Procédures 2022, comm. 267, obs. R. Laffly). Professionnel ou non, plus de questions.
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