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Arrêt de l’exécution provisoire après radiation de l’appel, à corde tendue

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Publié le 24.03.2025

La radiation du rôle de l’affaire, qui ne fait que suspendre l’instance, ne fait pas obstacle à ce que soit prononcé l’arrêt de l’exécution provisoire.

Civ. 2e, 6 mars 2025, F-B, n° 22-23.093

Dans l’immense majorité des cas depuis le décret n° 2014-1338 du 6 novembre 2014, les pourvois contre les ordonnances du premier président sont fermés, sauf pourvoi-nullité en cas d’excès de pouvoir. L’intervention d’un arrêt de cassation en ce domaine fait toujours figure d’évènement.

Une partie interjette appel à l’encontre d’une décision assortie de l’exécution provisoire devant la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion. Saisi sur incident par les intimés, le conseiller de la mise en état radie l’affaire pour défaut d’exécution. L’appelant assigne ensuite l’intimé en référé arrêt de l’exécution provisoire devant le premier président de la Cour qui déclare, faute d’objet, irrecevable une telle demande et le condamne à un article 700 du code de procédure civile. Le moyen unique de cassation reprochait à l’ordonnance présidentielle d’avoir retenu cette irrecevabilité alors que la radiation du rôle, qui ne fait que suspendre l’instance, ne fait pas obstacle à la demande d’arrêt de l’exécution provisoire. La deuxième chambre civile casse et annule l’ordonnance en toutes ses dispositions en jugeant, au visa des articles 524, 2°, et 526, alinéa 1er, du code de procédure civile dans leur rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, que :

« 5. Selon le premier de ces textes, lorsque l’exécution provisoire a été ordonnée, elle peut être arrêtée, en cas d’appel, par le premier président si elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives.

6. Selon le second, lorsque l’exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d’appel, décider, à la demande de l’intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’article 521, à moins qu’il lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision.

7. Pour déclarer irrecevable la demande d’arrêt de l’exécution provisoire attachée au jugement du 18 novembre 2019, l’ordonnance retient que la radiation du rôle de l’affaire, ordonnée le 9 février 2021 par le conseiller de la mise en état sur le fondement de l’article 526 du code de procédure civile, rend sans objet cette demande formée le 4 novembre 2021.

8. En statuant ainsi, alors que la radiation du rôle de l’affaire, qui ne fait que suspendre l’instance, ne fait pas obstacle à ce que soit prononcé l’arrêt de l’exécution provisoire en application de l’article 524 du code de procédure civile, le premier président, qui a méconnu ses pouvoirs, a violé les textes susvisés ».

Premier de cordée

Comprendre les rôles du conseiller de la mise en état en cas d’incident de radiation et du premier président saisi d’une demande d’arrêt d’exécution provisoire c’est dissiper, d’emblée, un malentendu purement textuel. L’arrêt est rendu au visa des articles 524 et 526 du code de procédure civile dans leur rédaction antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, soit respectivement propres aux pouvoirs du premier président de la cour d’appel en matière d’exécution provisoire et du conseiller de la mise en état s’agissant de la radiation. L’arrêt est transposable aux situations postérieures mais, subtilité, l’article 526 précisant les pouvoirs du conseiller de la mise en état en cas d’incident de radiation est devenu, à compter du 1er janvier 2020 et quelques ajouts postérieurs, l’article 524, celui-là même qui définissait les compétences du premier président en matière d’exécution provisoire… qui peut lui-même, en vertu toujours de l’article 524 nouveau, ordonner la radiation si l’affaire a par exemple été fixée à bref délai ! En effet, dans ce dernier cas, à défaut de mise en état, il n’y a pas de conseiller de la mise en état, ce qui explique la lecture, souvent incomprise, du partage de compétence de l’ancien article 526 devenu 524 : « Lorsque l’exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d’appel, décider, à la demande de l’intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l’affaire ».

Au conseiller de la mise en état et au premier président le pouvoir partagé, en fonction de la procédure d’appel, de statuer sur la demande de radiation, à ce dernier le pouvoir exclusif d’arrêter ou d’aménager l’exécution provisoire. Mais de cette cordée singulière, c’est bien sûr le conseiller de la mise en état qui, en matière de radiation, occupe le premier rôle.

Voie normale

Voie normale ou classique, l’assignation en référé arrêt de l’exécution provisoire, enchaînée avec un incident de radiation, est celle qui est la plus pratiquée. Les parties ont pour habitude de discuter de l’exécution provisoire devant le premier président pour remonter ensuite, l’ordonnance présidentielle rendue, devant le conseiller de la mise en état. Si l’ordonnance du premier président écarte en effet la demande d’arrêt de l’exécution provisoire dont est assortie la décision dont appel, l’intimé, qui a le champ libre, peut élever un incident de radiation pour défaut d’exécution. Il aura seulement à démontrer que la décision dont appel a bien été notifiée ou signifiée. Ni l’article 526 ancien, ni le nouvel article 524 qui a opéré pourtant quelques ajustements, ne font état de cette obligation, mais un récent arrêt de la Cour de cassation, rendu dans la droite ligne de la jurisprudence majoritaire des cours qui exigeaient déjà cette formalité, l’a confirmé. Logique d’une signification assimilée par la Haute Cour au premier acte d’exécution. Aussi, en jugeant le contraire, le conseiller de la mise en état qui s’affranchit de la preuve de cette signification commet un excès de pouvoir, consacré par la Cour d’appel qui estime irrecevable le déféré-nullité contre l’ordonnance de radiation (Civ. 2e, 8 févr. 2024, n° 22-18.026, Procédures 2024. Comm. 83, obs. R. Laffly).

Rappels

La plupart du temps, afin de faire échec à des mesures d’exécution, c’est donc l’appelant qui assigne en référé devant le premier président, dans la foulée de son appel, aux fins d’arrêt de l’exécution provisoire et, en cas de rejet de sa demande, se retrouve en défense à l’incident de radiation introduit par l’intimé, et ce d’autant plus souvent depuis le décret précité de 2019 qui a fait d’une exception un principe. L’article 514 dispose en effet que « Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement » pour les instances introduites au 1er janvier 2020 devant une juridiction du premier degré, non pas celles devant la cour d’appel (Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-17.344 F-B, Dalloz actualité, 11 févr. 2022, obs. T. Goujon-Bethan ; D. 2022. 119 ; AJDI 2022. 536 , obs. J. Mazure ; AJ fam. 2022. 63, obs. F. Eudier et D. D’Ambra ; Rev. prat. rec. 2022. 9, chron. D. Cholet, O. Cousin, M. Draillard, E. Jullien, F. Kieffer, O. Salati et C. Simon ).

L’article 539 du code de procédure civile reste cependant inchangé : « Le délai de recours par une voie ordinaire suspend l’exécution du jugement. Le recours exercé dans le délai est également suspensif », ce qui signifie que le créancier, disposant d’une simple faculté, exécute toujours à ses risques et périls en cas d’appel, voie de recours ordinaire, et que le débiteur, de jurisprudence établie, peut obtenir la réparation des conséquences dommageables de l’exécution en cas de réformation sans besoin d’une démonstration préalable d’une faute de la part de ce créancier (v. réc., Civ. 2e, 6 mars 2025, n° 22-18.209).

Cotation plus élevée

Mais il arrive parfois que cette assignation en référé arrêt de l’exécution provisoire soit délivrée après que des conclusions d’incident de radiation ont été déposées, en réaction donc à l’incident formé par un intimé. Le conseiller de la mise en état ordonne alors généralement le renvoi de l’incident dans l’attente de l’ordonnance du premier président qui, en cas d’arrêt, conférerait à l’appel un caractère suspensif de l’exécution. Mais pourquoi attendre l’incident de radiation ? Par stratégie, la voie choisie n’est pas toujours la plus directe. Selon la nature de l’exécution à laquelle il est confronté, l’appelant n’a pas forcément intérêt à agir par voie d’action devant le premier président et il peut au contraire choisir d’attendre un débat éventuel pour défendre sur la radiation sollicitée par l’intimé bénéficiaire de l’exécution provisoire.

Déjà parce que la radiation, qui ne peut être relevée d’office, reste hypothétique alors que certains intimés ne la sollicitent pas toujours en cas de défaut d’exécution, soit par méconnaissance du texte, soit par souhait d’obtenir plus rapidement une décision au fond définitive, soit pour avoir laissé passer le délai qui enferme cette demande dans leur propre délai pour conclure au fond. Dans ce cas précis, la demande de radiation serait déclarée irrecevable. Ensuite, car bien que le conseiller de la mise en état apprécie les conséquences manifestement excessives comme le premier président (la radiation du rôle de l’affaire peut être prononcée « lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’article 521, à moins qu’il lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision » selon l’al. 1er de l’art. 526 devenu 524), ce dernier doit désormais, aux termes de l’article 514-3 du code de procédure civile, également caractériser, condition cumulative, un moyen sérieux d’annulation ou de réformation avancé par l’appelant.

L’appelant peut donc faire l’impasse sur cette saisine du premier président, plus délicate à aborder ; sans compter que la radiation touche directement le droit d’appel, l’arrêt ou l’aménagement de l’exécution provisoire ne questionnant que l’exécution de la décision. Les conseillers de la mise en état ont ainsi plus de scrupule à ordonner la radiation comparativement aux premiers présidents à attenter à l’exécution provisoire, l’écart de la demande d’arrêt ne conditionnant pas la poursuite de l’appel. Statistiquement, l’appelant a plus de chance de triompher devant le conseiller de la mise en état que devant le premier président.

Ainsi, le sort de l’incident de radiation soulevé devant le conseiller de la mise en état, voire devant le premier président selon la procédure suivie, dépendra de l’ordonnance du premier président statuant au regard de la demande d’arrêt de l’exécution provisoire. S’il fait droit à celle-ci, l’incident de radiation tombera de lui-même (la date de suspension du délai pour conclure de l’intimé étant encore une autre affaire, et pas une mince affaire…) et si elle est écartée, le conseiller de la mise en état (ou le premier président) devra statuer sur la radiation. Sans que l’on puisse préjuger de la solution.

On l’a vu, l’appréciation de la situation in concreto n’est pas la même, le conseiller de la mise en état n’étant de surcroît pas lié par la décision du premier président. Le lien de cette cordée, sous influence certes, reste distendu. S’il n’est pas rare que le conseiller de la mise en état refuse de radier après que le premier président a refusé d’arrêter l’exécution provisoire, l’on peut même rêver que le premier président, dans la même situation mais après avoir changé de casquette, refuse la radiation. Mais il est des sommets difficiles à atteindre.

Everest procédural

Bien plus extrême, une autre voie peut aussi être empruntée, en solitaire comme au cas présent : la délivrance par l’appelant d’une assignation en référé aux fins d’arrêt de l’exécution provisoire une fois que l’ordonnance de radiation, mesure d’administration judiciaire non sujette à déféré (sauf déféré-nullité en cas d’excès de pouvoir), a été rendue.

Pourquoi saisir le premier président ? Parce qu’il est là ! s’empresserait de répondre Mallory (pas Malaurie). Car il est là et bien là en dépit de cette radiation de l’affaire. Il reste compétent pour statuer indépendamment de la radiation prononcée. Comme l’illustre cet arrêt, procéduralement, l’assignation aux fins d’arrêt de l’exécution provisoire postérieure à la radiation est parfaitement possible, la radiation du rôle de l’affaire ne faisant que suspendre l’instance, et non l’éteindre.

L’appel n’a pas été jugé irrecevable ou caduc, il a simplement été radié, de sorte que l’appelant peut toujours demander la réinscription au rôle de l’affaire en justifiant d’une ordonnance présidentielle postérieure ayant arrêté l’exécution provisoire. L’article 526 puis 524 n’envisagent pourtant l’hypothèse de la réinscription que sur justification de l’exécution de la décision dont appel, dans le délai de péremption qui court à compter de la notification de la décision ordonnant la radiation. Ce délai de deux ans peut d’ailleurs s’étirer à défaut de notification régulière de l’ordonnance de radiation (Civ. 2e, 21 déc. 2023, n° 21-20.034 FS-B, Dalloz actualité, 23 janv. 2024, obs. C. Bléry ; D. 2024. 14 ; ibid. 507, chron. C. Bohnert, F. Jollec, X. Pradel, S. Ittah, C. Dudit et M. Labaune-Kiss ; RTD civ. 2024. 488, obs. N. Cayrol ; Procédures 2024. Comm. 28, obs. R. Laffly ; 8 févr. 2024, n° 22-18.026, Procédures 2024. Comm. 83, obs. R. Laffly ; 23 mai 2024, n° 22-15.537 F-B, Dalloz actualité, 3 juin 2024, obs. C. Bléry ; AJ fam. 2024. 327, obs. F. Eudier ).

Le relais jurisprudentiel autorisant cette saisine du premier président après radiation résulte-t-il pour autant du silence des textes ? Pas exactement. Car si la Cour de cassation ne le vise pas, l’article 377 du code de procédure civile précise bien que l’instance est seulement suspendue par la décision qui radie l’affaire ou ordonne son retrait du rôle. Et l’idée n’est pas née de cet arrêt de 2025, la possibilité de saisir le premier président après radiation est consacrée depuis longtemps (Civ. 2e, 9 juill. 2009, n° 08-13.451 FS-P+B, D. 2009. 2044 ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero ; ibid. 532, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et S. Grignon Dumoulin ; JCP 2009. 260, obs. D. Cholet ; Procédures 2009. Comm. 303, obs. R. Perrot). La Cour n’est pas dessaisie par l’ordonnance de radiation, une affaire de suspension.

Aussi, une fois l’affaire radiée, plutôt que de solliciter des délais de paiement auprès du juge de l’exécution ou mettre à profit le délai de péremption pour réunir le montant des condamnations ou s’acquitter d’une obligation de faire, l’appelant pourra toujours saisir le premier président pour obtenir l’arrêt de l’exécution provisoire.

Mais c’est peu dire que le passage est étroit et que l’ascension est périlleuse. S’il veut atteindre le sommet, l’appelant sera bien inspiré de veiller à ce que s’écoulent quelques mois, comme dans la présente espèce, entre l’ordonnance de radiation et celle du premier président. Il sera alors plus aisé de démontrer que, depuis l’examen des conséquences manifestement excessives ou de l’impossibilité d’exécuter par le conseiller de la mise en état, la situation a évolué, et défavorablement. Il faudra encore justifier au moins d’un moyen sérieux de réformation ou d’annulation de la décision querellée. C’est à ce prix-là que l’appelant pourra, en cas de succès, revenir victorieux devant le conseiller de la mise en état pour solliciter la réinscription au rôle. Et que dire si la décision de radiation émanait déjà du premier président. Un retour devant lui pour demander l’arrêt de l’exécution provisoire s’apparentera à l’ascension d’une face nord. Comme en alpinisme, pour la beauté du geste, il est des conquérants de l’inutile.

Dalloz actualité © Éditions Dalloz 2025

Publié par

Romain LAFFLY

Avocat associé

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