Publication du décret 2018-1126 du 11 décembre 2018 relatif à la protection du secret des affaires (JORF, 13 déc. 2018)
Publié le :
04/02/2019
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Nul n’ignore que l’adoption de la loi du 30 juillet 2018 transposant la directive du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites a suscité bien des réactions, souvent d’incompréhension ou même d’opposition (cf. en ce sens le dossier « les secrets d’affaires : de la directive à sa transposition » sous la dir. de E. Treppoz in Propriété industrielle sept. 2018). La publication du décret de procédure était dès lors attendue par les praticiens qui vont devoir, à compter du 14 décembre 2018, se familiariser avec le nouveau titre V du livre Ier du Code de commerce consacré à la protection de ce secret des affaires. Il se confirme que le procès suppose, de plus en plus souvent, de jongler avec le Code procédure civile et le Code de commerce (c’est déjà le cas en matière de procédures de concurrence).
Pour aller à l’essentiel, et non sans signaler les dispositions bienvenues de ce décret ayant pour objet d’harmoniser la terminologie employée au sein de ces codes (mais aussi le Code l’énergie ou celui de l’environnement !), deux aspects doivent retenir l’attention. En premier lieu, le décret s’attache au contenu des mesures provisoires et conservatoires pouvant être prononcées sur requête ou en référé en cas d’atteinte à un secret des affaires. En second lieu, le décret précise les règles de procédure applicables aux mesures de protection de ce secret tant devant la juridiction civile que devant la juridiction commerciale. On évoquera rapidement successivement l’un et l’autre.
Concernant les mesures provisoires et conservatoires ordonnées sur requête ou en référé, les nouvelles dispositions traduisent dans les textes certaines exigences portées par la directive et notamment le principe de proportionnalité (art. 7 a) de la directive, art. L. 152-3 et R. 152-1 du code de commerce). La pratique y trouvera – c’est selon – une source de confort ou de remise en cause des habitudes. Mérite alors mention l’article R. 152-1 du Code du commerce qui gouverne les modalités d’octroi de mesures provisoires et conservatoires destinées à prévenir une atteinte imminente ou à faire cesser une atteinte actuelle au secret des affaires. Les mesures susceptibles d’être ordonnées tiennent à l’interdiction des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires et à l’interdiction des actes de production, d’offre, de mise sur le marché ou d’utilisation des produits soupçonnés de résulter d’une atteinte significative à un secret des affaires. Peut aussi être ordonnée la saisie ou la remise entre les mains d’un tiers de tels produits pour empêcher leur entrée ou circulation sur le marché. Retient surtout l’attention l’introduction par le décret d’un mécanisme de garantie. Ainsi, l’article R. 152-1 II autorise le juge à ordonner la constitution de garanties par le demandeur ayant obtenu l’octroi de mesures provisoires ou conservatoires, si l’atteinte au secret était jugée ultérieurement infondée, afin d’assurer l’indemnisation du défendeur ou d’un tiers touché par les mesures, et par le défendeur, comme condition pour l’autoriser à poursuivre l’utilisation illicite alléguée (afin d’assurer l’indemnisation éventuelle et ultérieure du détenteur du secret). De telles garanties répondront aux conditions posées en la matière par les articles 517 à 522 du Code de procédure civile.
Deux remarques complémentaires s’imposent. D’une part, le décret assure clairement – dans la ligne de ce qui existe déjà en matière de propriété intellectuelle – le lien entre le provisoire et le définitif en impartissant au demandeur de saisir le juge du fonds dans les 20 jours ouvrables ou trente et un jours civils si ce délai est plus long, à compter du jour de la saisie ou de la description. D’autre part, le décret laisse plein et entier le choix de la procédure : requête ou référé. Chacun sait que la procédure unilatérale présente bien des avantages (dont celui de la simplicité !). Mais, parce qu’elle déroge – même de manière temporaire – au contradictoire, elle est d’application stricte, ce que la pratique de la voie de la rétractation confirme aisément…
Concernant les règles de procédure relatives à la production ou à la communication des pièces, différentes nouveautés doivent être signalées qui, pour plusieurs d’entre elles, semblent très directement être inspirées de la (bonne) pratique existante de certaines juridictions. Ainsi, en est-il de l’article R 153-1 prévoyant que le juge peut ordonner d’office le placement sous séquestre des pièces demandées afin d’assurer la protection du secret d’affaires. Ce séquestre est seulement provisoire, car si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre est levée et les pièces pourront être transmises au requérant. La protection de la partie « saisie » est assurée – même si c’est à titre provisoire, insistons-y –. Et l’empire du dispositif est vaste puisque ce placement sous séquestre intervient tant dans le cadre des mesures d’instruction in futurum (article R 153-1 du Code du commerce) que dans le cadre de la saisie-contrefaçon (par un jeu de renvoi du Code de la propriété intellectuelle à l’article R 153-1 du Code du commerce). Par ailleurs, les articles R. 153-2 et suivants du Code de commerce assurent la protection du secret des affaires en cas de demande de communication ou de production de pièces, tant devant le juge civil que devant le juge du commerce. Ces derniers sont désormais amenés à recevoir de la partie invoquant le secret d’affaires, dans un délai qu’ils fixent, la version confidentielle intégrale de la ou les pièces, une version non-confidentielle ou un résumé de celles-ci ainsi qu’un mémoire précisant les motifs qui lui confèrent un caractère secret. Ils statuent sur le sort de cette ou ces pièces sans que la tenue d’une audience ne soit nécessaire (!) et peuvent refuser ou ordonner la communication, en en limitant l’accès ou en la réservant à une version non confidentielle ou encore sous forme de résumé selon ce qui est « nécessaire à la solution du litige » : belle illustration concrète du principe de proportionnalité précédemment mentionné ! Doit être précisé que la décision relative à la communication de pièces est susceptible de recours ; recours qui différent selon que la demande a été traitée avant tout procès au fond ou non. Dans les deux hypothèses, et s’il a été fait droit à la demande, l’exécution provisoire ne peut être ordonnée. Si le juge s’est prononcé avant le procès au fond, ce sont les règles ordinaires des référés ou des requêtes qui s’appliquent. Si le juge s’est prononcé sur la communication de pièce dans le cadre de l’instance au fond, il faut distinguer selon qu’il a ou non été fait droit à la demande. Dans le premier cas (il a été fait droit à la demande de communication), l’appel immédiat est ouvert dans le délai de 15 jours de l’ordonnance du JME et suit la procédure à bref délai de l’article 905 du Code de procédure civile. Dans le second cas, (il n’a pas été fait droit à la demande de communication), l’appel est différé avec le jugement sur le fond.
Enfin – et personne n’en sera surpris – le décret, à la suite de la loi, envisage différentes mesures dont l’objet tient à assurer la confidentialité, tant lors de la procédure qu’à son issue. S’agissant de la procédure elle-même, on retiendra que la loi offre au juge la possibilité d’adapter la publicité des débats en prévoyant que ceux-ci auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil. La publication est aussi abordée puisque le décret indique qu’une partie peut demander que lui soit seulement remis un extrait de la décision ne comportant que son dispositif, revêtu de la formule exécutoire. De même, une version non confidentielle de la décision, dans laquelle sont occultées les informations couvertes par le secret des affaires, peut être remise aux tiers et mise à la disposition du public sous forme électronique.
Cyril Nourissat
Professeur agrégé des Facultés de droit
Directeur du Comité scientifique Lexavoué Lire la suite
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