Annexe à la déclaration d’appel, après la pluie le beau temps
Par avis du 8 juillet 2022, la deuxième chambre civile de la cour de cassation, contrainte de revenir sur son arrêt du 13 janvier 2022, livre sa lecture de l’article 901, 4°, tel que modifié par le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 : « La déclaration d’appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57, et à peine de nullité : (...) 4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible ». Dans tous les sens du terme, les avocats ont finalement été entendus.
- Civ. 2e, avis, 8 juill. 2022, B, n° 22-70.005
Le coup de tonnerre
A-t-on déjà vu en un mois autant d’émoi ? Existe-t-il un précédent qui a conduit, en quelques jours, à une avalanche de commentaires sur les réseaux sociaux, à une intervention du Conseil national des barreaux auprès du garde des Sceaux et à une réponse immédiate de la Chancellerie par l’adoption d’un texte destiné à contrer – rien que cela – un arrêt de section de la Cour de cassation ? La réponse est suggérée par la question. Par cet arrêt publié du 13 janvier 2022, la deuxième chambre civile venait en effet de mettre un terme à la très répandue pratique de l’annexe à la déclaration d’appel sans qu’une contrainte technique ne l’imposât (Civ.2e, 13 janv. 2022, n° 20-17.516 FS-B, Dalloz actualité, 20 janv. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 325 , note M. Barba ; ibid. 625, obs. N. Fricero ; AJ fam. 2022. 63, obs. F. Eudier et D. D’Ambra ; Rev. prat. rec. 2022. 9, chron. D. Cholet, O. Cousin, M. Draillard, E. Jullien, F. Kieffer, O. Salati et C. Simon ). La sentence du 13 janvier 2022 était sans appel : pour que l’effet dévolutif puisse jouer, les chefs de jugement critiqués doivent figurer dans la déclaration d’appel qui est un acte de procédure se suffisant à lui seul permettant à l’appelant, sous seule condition d’un empêchement technique, de la compléter par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer. La contrainte du RPVA était connue : 4 080 caractères de chefs de jugement critiqués. Connue aussi était l’importance des déclarations de sinistres à venir tant l’utilisation d’une annexe, sans la moindre contrainte technique, était devenue monnaie courante en appel en dépit, notamment, de l’avertissement d’une circulaire de la Chancellerie du 4 août 2017 : « Dans la mesure où le RPVA ne permet l’envoi que de 4 080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d’appel une pièce jointe la complétant afin de lister l’ensemble des points critiqués du jugement. Cette pièce jointe, établie sous forme de copie numérique, fera ainsi corps avec la déclaration d’appel ». L’empêchement technique était clairement exprimé. Ce n’était qu’une circulaire. Mais c’était aussi un risque à prendre.
L’arrêt du 13 janvier 2022 était en tous cas dénué d’équivoque : au-delà de 4 080 caractères, une annexe à l’acte d’appel peut être établie, en deçà, l’effet dévolutif ne joue pas. La sanction de surcroît ne vaudrait pas seulement pour l’avenir mais pour les déclarations d’appel en cours, aucun différé d’application n’ayant cette fois été prévu... jusqu’à un décret n° 2022-245 et à un arrêté du 25 février 2022 modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel (Décr. n° 2022-245, 25 févr. 2022, JO 26 févr., Dalloz actualité, 8 mars 2022, obs. N. Fricero).
Le paratonnerre
Afin de sauver un nombre considérable de déclarations d’appel ne répondant pas à l’exigence posée par la Cour de cassation, la modification du texte était donc prise en grande hâte. Et cela se voit.
Le tour de passe-passe est celui-là : si le fichier au format XML est une déclaration d’appel, « il comprend obligatoirement les mentions des alinéas 1 à 4 de l’article 901 du code de procédure civile », c’est-à-dire :
Les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57 et à peine de nullité (al. 1),
1° - La constitution de l’avocat de l’appelant (al. 2),
2° - L’indication de la décision attaquée (al. 3),
3° - L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté (al. 4).
Or, le 4° de l’article 901 qui vise « les chefs de jugement critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible » est un 4° mais pas un 4e alinéa. Dit autrement, ce 4° est le 5e alinéa ! Devant cette volonté elliptique, les amoureux de la langue française regretteront juste une phrase écrite, en français. Ainsi, si les chefs de jugement doivent toujours être mentionnés pour que l’effet dévolutif joue pleinement, ils peuvent être, sans empêchement technique, directement mentionnés dans une annexe à condition toutefois, ajoute l’arrêté, que l’acte d’appel renvoie expressément au document joint. Et pour faire bonne mesure, l’arrêté est applicable aux procédures en cours, soit le lendemain de sa publication. Le paratonnerre avait parfaitement fonctionné. Jusqu’à la demande d’avis de la cour d’appel de Paris du 13 avril 2022.
Le coup de chaud
Après les intercessions de la profession d’avocat, puis une intervention divine, on pensait la messe dite. Mais une demande d’avis était en cours d’instruction et elle devait aboutir. La demande était ainsi formulée :
« 1 - Le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et l’arrêté du 25 février 2022 modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d’appel sont-ils immédiatement applicables aux instances en cours pour les déclarations d’appel qui ont été formées antérieurement à l’entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires ?
2 - Dans l’affirmative, une déclaration, à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués, constitue-t-elle l’acte d’appel conforme aux exigences de l’article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, dès lors que la déclaration d’appel mentionne expressément l’existence d’une annexe, et ce même en l’absence d’empêchement technique ? ».
On le voit, était en question l’application dans le temps du décret et de l’arrêté aux instances d’appel en cours et la question même de l’empêchement technique au regard de l’annexe établie par l’avocat de l’appelant. Mais on l’a vu, les deux réponses étaient a priori contenues dans le texte même. Alors pourquoi la demande d’avis fut elle accueillie ? De la maladresse rédactionnelle, comme souvent, découle la nécessité d’une réponse. Déjà, le parti-pris « littéraire » à grands renforts de renvois et d’alinéas avait conduit à des disparités d’interprétations doctrinales, certaines contestant même que le but avoué ait été atteint par la nouvelle rédaction de l’article 901.
Ce d’autant que la deuxième chambre civile avait, postérieurement à l’entrée en vigueur du décret, jugé qu’« ayant constaté que la déclaration d’appel ne contenait aucune critique expresse des chefs du jugement entrepris, celle-ci étant explicitée dans une annexe jointe à cette déclaration, et que cet acte n’avait pas été régularisé dans le délai imparti, la cour d’appel, devant laquelle l’appelante n’alléguait pas un empêchement technique à renseigner la déclaration, en a exactement déduit, seul l’acte d’appel opérant la dévolution des chefs critiqués
du jugement, qu’elle n’était saisie d’aucune demande » (Civ. 2e, 14 avr. 2022, n° 20-22.497, inédit). Certes la cour d’appel avait statué avant l’entrée en vigueur du décret et de l’arrêté et la solution était donc logique, mais on pouvait encore y voir une certaine résistance, pas totalement illégitime au regard du déroulé des opérations de sauvetage de cette annexe. Certaines cours d’appel estimaient aussi que l’instance en cours n’était pas celle née d’un acte d’appel antérieur au décret ou encore que la condition de preuve de la contrainte technique subsistait au regard, notamment, de la nouvelle rédaction de l’article 901, 4°, qui précise que la déclaration d’appel est faite par acte, comportant, « le cas échéant », une annexe. Était-elle une possibilité offerte seulement en cas de contrainte technique ou quoiqu’il arrive, selon le bon vouloir de l’avocat de l’appelant.
Preuve que le sujet était sensible, la deuxième chambre civile n’hésita pas à solliciter les avis, avant de rendre le sien, de la présidente de la Conférence nationale des premiers présidents des cours d’appel, du président du Conseil national des barreaux, du président de la Conférence des bâtonniers et de la bâtonnière de l’ordre des avocats au barreau de Paris. L’horizon était donc loin d’être totalement dégagé.
Le calme après la tempête
Aux deux questions posées par la cour d’appel de Paris, « La Cour est d’avis que :
1 - Le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et l’arrêté du 25 février 2022 modifiant l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d’appel sont immédiatement applicables aux instances en cours pour les déclarations d’appel qui ont été formées antérieurement à l’entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires, pour autant qu’elles n’ont pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent qui n’a pas fait l’objet d’un déféré dans le délai requis, ou par l’ arrêt d’une cour d’appel statuant sur déféré.
2 - Une déclaration d’appel, à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués, constitue l’acte d’appel conforme aux exigences de l’article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, même en l’absence d’empêchement technique ».
Quand la météorologie tangue, la téléologie permet, aussi, de dégager un ciel obscurci.
À texte ambigu, réponse limpide. Celle de la Cour de cassation, dont on devine à travers les lignes qu’elle n’allait pas de soi et qu’elle est un peu forcée. Obtenue à l’arraché dirait-on. Elle ne souffre en tous cas pas, elle, d’interprétation. Opérant, sous la contrainte on l’avait deviné, un virage à 180 degrés, la Cour de cassation livre un avis bien loin de l’idée de départ du 13 janvier 2022.
Après avoir rappelé l’article 2 du code civil, la deuxième chambre civile indique « En procédure civile, il résulte des principes généraux du droit transitoire, tels que dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation, qu’en l’absence de disposition spéciale, les lois relatives à la procédure et aux voies d’exécution sont d’application immédiate aux instances en cours (Cass., avis, 22 mars 1999, n° 09-90.005 P, D. 1999. 138 ). Cependant, si ces lois sont applicables aux instances en cours, elles n’ont pas pour conséquence de priver d’effet les actes qui ont été régulièrement accomplis sous l’empire de la loi ancienne (en ce sens, Civ. 2e, 30 avr. 2003, n° 00-14.333 P, D. 2003. 1477, et les obs. ; Com. 27 janv. 1998, n° 94-15.063 P) ». Elle ajoute que « Cette règle d’interdiction de remise en cause d’un acte régulièrement accompli découle tant du principe de non-rétroactivité de la loi que de l’exigence de protection des droits acquis, liée au principe de sécurité juridique. La loi ne peut remettre en cause des situations définitivement fixées dans le passé. Elle est, en revanche, immédiatement applicable à des situations qui, ayant leur origine dans le passé, ne sont pas définitivement acquises ».
Les principes rappelés et notamment l’impossibilité de remettre en cause les actes « régulièrement accomplis sous l’empire de textes antérieurs », tout en observant que le décret prévoyait bien que la nouvelle disposition de l’article 901, 4°, était applicable aux procédures en cours, la Haute juridiction finit par concéder que le texte réglementaire peut conférer validité à des actes antérieurs, pour autant qu’ils n’ont pas, à la suite d’une exception de nullité, été annulés par une ordonnance du magistrat compétent qui n’a pas fait l’objet d’un déféré dans le délai requis, ou par l’arrêt d’une cour d’appel statuant sur déféré. Voilà donc la seule limite temporelle qui, en toute logique, pose l’impossibilité de remettre en cause une décision qui aurait autorité de chose jugée. Rappelons toutefois que la compétence du conseiller de la mise en état s’envisagera sous l’angle seul de la nullité, la Cour de cassation ayant récemment confirmé que « seule la cour d’appel, dans sa formation collégiale, a le pouvoir de statuer sur l’absence d’effet dévolutif, à l’exclusion du conseiller de la mise en état dont les pouvoirs sont strictement définis à l’article 914 du code de procédure civile » (Civ. 2e, 19 mai 2022, n° 21- 10.685 F-B, Dalloz actualité, 15 juin 2022, obs. R. Laffly).
La seconde réponse est encore induite par la défaillance rédactionnelle. La deuxième chambre civile, qui maîtrise l’art de la litote, ne manque pas l’occasion d’observer que l’expression « le cas échéant »... « n’est pas dénuée d’ambiguïté ». Elle le dit, le terme « pourrait renvoyer à une condition d’utilisation de l’annexe, tel l’empêchement technique, notamment le dépassement du nombre de caractères maximum prévus par le Réseau privé virtuel justice ». Ainsi, l’emploi de l’expression « le cas échéant », que l’on pourrait remplacer, avec une certaine désinvolture, par « si l’occasion de présente », reviendrait à conditionner l’emploi d’une annexe à la preuve d’une contrainte technique. Tout ça pour ça. On en revenait à la solution du 13 janvier 2022.
Il fallait donc prendre de la hauteur, par un tacle glissé à l’attention des rédacteurs. Pour conclure qu’empêchement technique ou pas, l’appelant peut toujours débuter l’indication des chefs de jugement critiqués sur une annexe à la déclaration d’appel, la deuxième chambre civile, qui maîtrise aussi l’art de l’hyperbole, estime qu’« une interprétation téléologique du décret aboutit à considérer que cet ajout vise à permettre l’usage de l’annexe, même en l’absence d’empêchement technique ».
La méthode téléologique consiste à interpréter la loi en fonction de son but, son objet ou sa finalité. Quand même la méthode exégétique ne suffit plus, que le texte ne saute plus aux yeux, il faut bien essayer de comprendre. À tout prix, on l’aura compris.
Reste aux avocats à se souvenir d’une chose : l’article 4 de l’arrêté du 20 mai 2020, modifié par celui du 25 février 2022, mentionne que lorsqu’un document doit être joint à un acte, celui-ci doit renvoyer expressément à ce document. L’effet dévolutif ne jouera donc pas si l’acte d’appel n’opère pas renvoi à l’annexe qui liste les chefs de jugement critiqués. Point besoin d’interprétation téléologique pour le comprendre.
Romain Laffly,
Avocat associé, Lexavoué
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