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Quand l’arrêt de la deuxième chambre civile se fait attendre...

Quand l’arrêt de la deuxième chambre civile se fait attendre...

Auteur : Romain Laffly pour Dalloz actualité
Publié le : 29/10/2018 29 octobre oct. 10 2018

L’intimé dont les conclusions ont été jugées irrecevables pour ne pas avoir été notifiées dans le délai de l’article 909 du code de procédure civile peut-il conclure à nouveau pour répondre à de nouvelles conclusions notifiées par l’appelant ?

Alors que, depuis l’entrée en vigueur en janvier 2011 du décret Magendie, les arrêts publiés de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’accumulent sur toutes les situations procédurales possibles et imaginables – dont certaines parfois inimaginables –, cette question d’évidence, et à laquelle sont confrontées toutes les cours d’appel, n’a toujours pas été résolue.

Plus précisément, elle a en fait été abordée par la troisième chambre civile, mais dans un arrêt non publié, qui a cassé l’ordonnance d’un conseiller de la mise en état de la Cour d’appel de Poitiers qui avait estimé qu’en déposant un second jeu de conclusions, contenant de nouveaux moyens et de nouvelles pièces, l’appelant avait ouvert un droit de réponse à l’intimé. La Cour de cassation a alors jugé que viole l’article 908 du code de procédure civile, l’ordonnance qui, pour déclarer les conclusions recevables, « retient que les dispositions des articles 908 et suivants [dudit code] ne visent que les premiers échanges de conclusions, aucun texte ne venant sanctionner les échanges de conclusions postérieurs [...], alors que l’irrégularité des premières conclusions de [l’intimé le] privait de conclure à nouveau ».

Pourtant, le conseiller – dont la décision ne pouvait à l’époque faire l’objet d’un déféré – avait, à l’instar de la plupart des cours d’appel, estimé que « tant le principe du contradictoire que celui du droit à un procès équitable s’opposent à ce que les sanctions réglementaires susvisées puissent permettre à une partie, en se prévalant de l’irrecevabilité de conclusions antérieures de son adversaire, de continuer à développer son argumentation contre lui sans qu’il lui soit permis d’y répondre en défense » .

À la lecture des arrêts des cours d’appel et de ceux de la Cour de cassation, les moyens tirés de la différence de durée des délais pour conclure entre appelant et intimé avant l’entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017 4, de la brièveté des délais ou de l’automaticité des sanctions, ont toutes été balayées, alors que ces dispositions n’ont jamais été jugées contraires à l’article 6, § 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH), au principe de l’équité, du procès équitable et de l’égalité des armes. Pourtant, la question posée de savoir si oui ou non l’intimé, dont les conclusions ont été jugées irrecevables, a le droit de conclure à nouveau en réponse à de nouvelles conclusions de l’appelant, non encore élucidée donc, recouvre une dimension supérieure au regard de ces principes. Dans cette hypothèse, la situation procédurale et le litige évoluent, parfois de manière notable, après une première décision d’irrecevabilité.

L’intimé, irrecevable en ses conclusions, ne doit-il pas pouvoir répondre aux conclusions de l’appelant dès lors que celui-ci a pris le risque, ou a fait le choix délibéré de conclure à nouveau en développant de nouveaux moyens ou prétentions, voire en produisant de nouvelles pièces ?

LES PRINCIPES

Quasiment toutes les cours d’appel saisies de la difficulté ont rappelé ainsi, au vu des exigences impératives de l’article 909 du code de procédure civile mais aussi de celles du procès équitable, que la notification de nouvelles conclusions impose que l’intimé puisse répondre alors même qu’il a pu voir ses premières écritures jugées irrecevables. Mais les cours d’appel posent une condition d’évidence : qu’une modification substantielle ou a minimas significatifs soit observée dans les nouvelles conclusions de l’appelant (moyens nouveaux, prétentions supplémentaires ou pièces nouvelles).

On distingue donc deux séries d’arrêts, parfaitement complémentaires : ceux qui jugent recevables les conclusions de l’intimé en raison de nouveaux développements ou productions significatifs, et ceux qui jugent irrecevables ces nouvelles écritures de l’intimé dès lors que celles de l’appelant n’ont pas apporté de modification réelle aux débats. Cette position des cours d’appel, qui mérite d’être approuvée, est d’autant plus notable qu’elle s’inscrit dans le temps, comme l’illustrent les dates d’arrêts rendus, depuis l’entrée en vigueur du décret Magendie.

Nouveau jeu d’écritures avec nouveaux développements ou productions significatifs

Dès 2012, la Cour d’appel de Poitiers a ainsi estimé que : « Les exigences d’un procès équitable, découlant de l’article 6 § 1er de la [Conv. EDH], le principe de l’égalité des armes et son corollaire, le principe du contradictoire, imposent que [l’intimé] puisse répondre [aux] nouvelles écritures et à [la] nouvelle pièce [de l’appelant] », et a déclaré ses conclusions « recevables, conclusions auxquelles [l’appelant avait] d’ailleurs [lui]-même répondu par de nouvelles conclusions en réponse » 5. En 2013, la Cour d’appel de Chambéry a jugé de son côté : « Que c’est cette nécessité de respecter le débat contradictoire et la loyauté des échanges qui impose que l’intimé puisse s’exprimer sur des points qui n’avaient pas été soumis à sa connaissance, indépendamment d’une irrecevabilité de conclusions prononcée antérieurement ».

La Cour d’appel de Lyon a également considéré en 2014 que, « si les conclusions d’un intimé ont été déclarées irrecevables comme tardives en application de l’article 909 du Code de procédure civile, il n’en demeure pas moins que par respect du principe selon lequel chaque justiciable doit avoir droit à un procès équitable et doit pouvoir en ce sens répondre à de nouvelles conclusions émises à son encontre, l’intimé doit être autorisé à répondre à ces dernières sauf à permettre à une partie, en se prévalant de l'irrecevabilité de conclusions antérieurement notifiées et déposées par son adversaire, de poursuivre une argumentation contre ce dernier sans qu'il lui soit possible d'y répondre en défense » .

De même, pour la Cour d'appel de Paris : « L'appelant, qui conclut, à nouveau, après une ordonnance constatant l'irrecevabilité des conclusions hors délai de l'intimé, ne peut pas utiliser les délais de procédure pour lui interdire de répondre à une nouvelle argumentation et de nouvelles pièces, sauf à préjudicier à la loyauté des débats et au principe du contradictoire et de l'égalité des armes ; [...] ainsi en concluant une nouvelle fois en appel malgré l'absence d'écritures recevables de son adversaire à la suite de ses premières écritures, la partie appelante donne la possibilité à la partie intimée de reprendre le débat contradictoire et de conclure en réponse » 8.

En 2016, la Cour d'appel de Bordeaux, infirmant l'ordonnance du conseiller de la mise en état, a encore estimé que : « Priver l'intimé de tout droit de conclure et de répondre aux moyens et arguments de l'appelant qui conclut de nouveau en dehors de ses premières conclusions d'appelant serait en outre contraire au principe du contradictoire et plus généralement au droit d'accès au juge et à un procès équitable garantis par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que le soutient expressément le défendeur au déféré qui conclut comme le demandeur à l'infirmation de l'ordonnance attaquée » 9.

NOUVEAU JEU

D'ÉCRITURES IDENTIQUE OU QUASI IDENTIQUE

Ce n'est que dans l'hypothèse dans laquelle le second jeu d'écritures de l'appelant est quasiment identique au précédent que l'intimé ne dispose pas de la possibilité de conclure à nouveau. C'est en réalisant un examen comparatif des conclusions que la Cour d'appel de Rouen a pu juger irrecevables les secondes conclusions de l'intimé, dont un premier jeu avait déjà été déclaré irrecevable, celles-ci répondant aux secondes écritures de l'appelant, lesquelles ne formulaient ni demande nouvelle ni moyen nouveau 10. Ainsi, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a logiquement estimé qu'en « signifiant de nouvelles conclusions [l'appelant] s'est limité à développer ses conclusions d'appelant sans soulever de nouveaux moyens ou de nouvelles demandes, mais en étayant uniquement son argumentation de fait ; ce qui n'est nullement contraire à la loyauté des débats ».

Un arrêt isolé de la cour d'appel de Reims

C'est finalement la Cour d'appel de Reims qui s'est illustrée par le plus de sévérité, mais dans un arrêt toutefois très isolé, puisqu'elle n'opère aucune différenciation alors même que de nouveaux moyens étaient développés : « Le dépôt par l'appelante de nouvelles conclusions contenant des moyens nouveaux ne fait pas courir au profit de l'intimée un nouveau délai pour conclure et ne peut justifier que la Caisse d'épargne soit relevée de son irrecevabilité à se défendre et autorisée à conclure. Le respect des délais prescrits par les articles 908 à 910 du code de procédure civile dans l'instance d'appel [ayant] pour but d'assurer le jugement de la cause dans un délai raisonnable, il est conforme à l'objectif du procès équitable et ne prive pas l'intimée de l'accès au juge. Il appartient à l'intimé qui souhaite assurer sa défense de déposer ses premières conclusions dans le délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant ».

PERSPECTIVES

Si, après comparaison des différents jeux d'écriture et en l'absence d'arrêt de la deuxième chambre civile, les cours d'appel se sont emparées des principes du contradictoire et du droit au procès équitable pour juger recevables les secondes conclusions de l'intimé, d'autres arguments militent en faveur de cette recevabilité et, précisément, peut-être même la finalité des décrets Magendie et du 6 mai 2017. Déjà, au regard justement de la jurisprudence de la Cour de cassation 13 et du nouvel article 906 in fi ne , dès lors que les conclusions de l'intimé sont jugées irrecevables, les pièces le sont de facto de sorte que si l'appelant communique au fil de la procédure ses pièces (on sait qu'il doit seulement les communiquer en temps utile), l'intimé non seulement sera privé de la possibilité de conclure mais il ne pourra non plus produire des pièces pour contrer l'argumentation ou les pièces adverses.

Si l'on comprend la position de la Cour d'appel de Reims selon laquelle les décrets Magendie - et l'on ajoutera volontiers le décret précité du 6 mai 2017 - ont pour but affiché que la cause soit entendue dans un délai raisonnable et qu'il n'y a pas d'atteinte, a priori, au procès équitable puisque l'intimé a bien disposé d'un premier délai pour répondre, l’esprit des textes pourrait cependant militer en sens contraire et conduire la deuxième chambre à une autre appréciation. En effet, adopter une position différente à celle, actuelle, de l’immense majorité des cours d’appel pourrait amener l’appelant à notifier un premier jeu de conclusions laconique afin, en cas d’irrecevabilité des conclusions de son adversaire (ce qui est loin d’être une hypothèse d’école...), de développer, en toute tranquillité et jusqu’au prononcé de l’ordonnance de clôture, son argumentation, produire de nouvelles pièces et modifier, le cas échéant, jusqu’à ses moyens de droit et son dispositif. Seule exigence de temporalité, l’appelant devra juste prêter attention à concentrer ses prétentions dans le délai de trois mois de la remise au greffe de ses écritures par application du nouvel article 910-4 du code de procédure civile. A contrario, donner la possibilité à l’intimé de répondre amènera au contraire l’appelant à concentrer non seulement ses prétentions dès la notification de ses premières écritures mais encore à réunir l’ensemble de ses pièces et à concentrer ses moyens, manière finalement d’exaucer le vœu de la commission Magendie resté pieux. Et l’objectif de célérité recherché sera d’autant plus préservé que l’appelant, s’il a déjà tout dit dans ses premières conclusions, sera amené à solliciter la clôture de l’affaire dès le prononcé de l’irrecevabilité des conclusions adverses.

Enfin, à défaut de donner la possibilité à l’intime de conclure en réponse à des conclusions

 

D’un appelant qui aurait modifié ses conclusions de manière significative, une atteinte aux principes intangibles posés par les articles 15 et 16 du code de procédure civile et à la loyauté des débats, comme au procès équitable et à l’égalité des armes, pourrait être caractérisée. Espérons donc que la deuxième chambre civile saura convoquer l’ensemble de ces grands principes pour permettre à l’intimé de répondre à de nouvelles conclusions de l’appelant comme elle a su le faire récemment en visant expressément ce même article 6, § 1er de la Conv. EDH et l’atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge afin d’écarter l’inutile sanction de caducité de l’article 905-1 du code de procédure civile en cas de défaut de notification de la déclaration d’appel à l’avocat constitué dans le mois de l’émission de l’avis adressé par le greffe 14.

CONSEIL PRATIQUE

L’avocat de l’appelant, qui pourrait se révéler lui aussi le garant de l’esprit initial des textes, veillera donc à conclure de manière exhaustive dès ses premières conclusions. Il a désormais l’obligation de concentrer ses prétentions dès son premier jeu d’écritures, et il serait bien inspiré de développer tous ses moyens et son argumentation s’il ne veut, en cas d’irrecevabilité des conclusions adverses, offrir une seconde chance à son adversaire.

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