L’avocat postulant est-il un frein à la croissance ?
Publié le :
18/09/2014
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Le débat sur les professions règlementées a refait surface cet été à l’initiative d’Arnaud Montebourg. L’ancien ministre de l’économie a fait connaître le 10 juillet la feuille de route du redressement économique de la France destiné à « restituer 6 milliards d’euros » de pouvoir d’achat aux français. Il s’est, entre autres, engagé à renforcer la concurrence dans le secteur des activités dites « réglementées », dans le but de réduire le prix des prestations et partant favoriser des créations d’emplois.
Pour parvenir à son objectif, le Gouvernement, guidé par un rapport de l’inspection générale des finances de 2013 ayant examiné 37 professions règlementées a fait savoir par la voix du nouveau ministre de l’économie Emmanuel Macron qu’il entendait procéder par voie d’ordonnances.
La discussion parlementaire qui se tiendra début octobre sera donc nécessairement limitée. Pour autant, il n’est pas dit que ceux qui subiront les conséquences de ces nouvelles réformes doivent rester muets. Et puisqu’ils ne pourront se faire entendre à l’assemblée, ils doivent s’y résoudre dès maintenant.
Parmi les professions visées dans le rapport de l’IGF, figure la profession d’avocat et en particulier son monopole de postulation.
Le rapport de l’IGF, après avoir considéré que la postulation ne répondrait qu’à des justifications d’ordre historique, relève que « l’existence d’un monopole géographique de postulation présente plusieurs inconvénients :
• Une complexification de la relation qui unit l’avocat à son client, ce dernier étant défendu par un professionnel différent selon le ressort géographique du tribunal de grande instance ou de la cour d’appel
• Un renchérissement des coûts des procédures, sans qu’un surcoût de qualité lié à la postulation soit nécessairement identifiable. »
Le rapport conclut à deux options : « soit supprimer la compétence de postulation des avocats, soit étendre la compétence de postulation au niveau national ».
Il est étonnant d’avoir entendu si peu de réactions d’avocats sur cette question, à l’exception du président de la conférence des bâtonniers, Marc Bollet, qui dans une correspondance du 7 août aux bâtonniers s’est ému légitimement « d’une loi de nature à impacter très sérieusement l’organisation de notre profession ».
Au-delà des conséquences financières et sociales qu’aurait la suppression de la postulation mais aussi du tarif y afférent pour les cabinets en cette période de crise, il convient surtout de s’interroger sur le rôle actuel de la postulation et encore plus sur ses évolutions possibles.
La loi de 1970 sur la suppression des avoués d’instance et la loi de 2011 de fusion des professions d’avocats et d’avoués à la Cour font désormais coexister deux ressorts géographiques de postulation différents. Un par degré de juridiction.
Héritage de la suppression des avoués de première instance en 1971, la postulation de première instance impose à l’avocat souhaitant agir à l’extérieur du ressort de son tribunal de faire le choix d’un avocat « postulant » dans les matières où la représentation est obligatoire.
La suppression effective des avoués le 1er janvier 2012, permet quant à elle à tout avocat de postuler devant la Cour d’appel de son ressort.
De manière très concrète, l’avocat d’Angoulême doit avoir recours aux services d’un confrère postulant lorsqu’il intervient devant le tribunal de grande instance de Bordeaux. En revanche, il peut postuler lui-même devant la Cour d’appel de Bordeaux s’il s’agit de former appel du jugement rendu.
A cela s’ajoute le fait que le tarif des avoués à la Cour a disparu alors que subsiste le tarif de postulation du décret de 1960 en première instance.
Il est exact que la structuration des cabinets d’avocats, les nouveaux modes de mise en état, la fonction de l’audience dans le procès civil et les moyens modernes de communication ont totalement bouleversé le procès civil. Mais il demeure que l’activité de l’avocat est duale : tout à la fois mandataire pour la procédure (ce qu’illustre la postulation) et prestataire de services pour le reste. C’est là toute la différence – explicitement prévue par le code de procédure civile – entre la représentation et l’assistance, ce que le rapport qui a inspiré le ministre a passé sous silence…
Le RPVA (Réseau Privé Virtuel des Avocats) est désormais l’outil commun des avocats « judiciaires » et après une mise en route où s’étaient posées des difficultés inhérentes à la nouveauté, le système fonctionne techniquement et ses utilisateurs bénéficient régulièrement d’améliorations.
Faut-il pour autant, au seul motif qu’il existe un outil « électronique » commun supprimer la postulation par avocats ou étendre la postulation au niveau national ?
Au-delà des conséquences économiques d’un tel projet pour les cabinets que les différentes instances de la profession ne manqueront pas de mettre en avant, une telle suppression serait une remise en cause profonde de l’importance de l’humain dans le processus judiciaire, du mandat qui lie l’avocat à son client.
Il sera rappelé particulier et à titre d’exemple le travail considérable réalisé par les magistrats, les directeurs des greffes, les bâtonniers, les membres des conseils de l’ordre qui ont été depuis plus de dix ans à l’initiative de multiples contrats de procédure entre les barreaux et les juridictions.
Les différents rédacteurs de ces contrats de procédure et autres vade-mecum ou conventions juridiction/greffe/barreau ont, par leur travail, fait des avocats et des barreaux locaux les « partenaires de justice » que Christiane Taubira, garde des Sceaux appelait encore de ses vœux lors de la synthèse des rapports sur la justice du XXIème siècle au début de cette année.
Ces contrats de procédure, différents selon les juridictions mais fondés sur le même code de procédure civile, souvent issus des personnalités, magistrat, avocats, avoués, greffiers, les ayant rédigés tiennent compte du personnel disponible, de l’organisation des lieux, des usages locaux. Chaque « avocat de Palais » sait à quel point ils sont le ciment du bon fonctionnement des juridictions.
L’avocat local demeure ainsi l’interlocuteur de confiance et c’est en cela que la territorialité de la postulation a un sens car elle doit être maitrisée par un interlocuteur proche, régulier et fiable des juridictions. Cette fiabilité est aussi un gage de qualité et de célérité de la justice à l’heure de la baisse du nombre des magistrats.
Interlocuteur de proximité du juge dont il connait la jurisprudence, l’avocat postulant est aussi le conseil de son confrère, le dominus litis, qu’il renseignera sur l’avancement du dossier, l’état de la procédure, les qualités des parties, et qu’il substituera dans ses démarches voire à l’audience.
L’avocat postulant n’est donc pas un coût supplémentaire pour le client ou l’institutionnel s’il ne fait pas de la postulation le péage obligé de la représentation mais s’il intègre à sa prestation le conseil et l’assistance. Il devient alors « l’avocat de concert » reconnu par les directives de l’Union européenne et consacré dans son utilité par la Cour de Justice, comme c’est le cas dans nombre d’autres pays de l’Union Européenne.
Une harmonisation du ressort territorial de la postulation sans aboutir à sa suppression est possible et souhaitable car de l’intérêt de tous, magistrats et avocats (et, donc, clients). Mais encore faut-il que le gouvernement accepte une large concertation si l’on veut éviter une nouvelle réforme ratée comme celle de la suppression des avoués dont le rapport de 2013 mais aussi un récent rapport sénatorial relèvent qu’elle s’est traduite par 1.400 emplois supprimés et un coût global de 385 millions d’euros.
Cette concertation est d’autant plus nécessaire qu’il existe des pistes cohérentes d’évolution et qu’elle rejoint très directement aussi un autre serpent de mer qu’est la remise à plat de l’aide juridictionnelle.
Il serait en effet envisageable que ce soit à l’échelle du ressort de la Cour d’appel désormais que la postulation s’exerce. Une postulation « régionalisée » permettrait ainsi aux avocats de postuler devant chacune des juridictions de première instance du ressort de leur Cour et devant la Cour d’appel.
Par cette solution médiane, le gouvernement réussirait à poursuivre son objectif de libéralisation tout en maintenant un maillage judiciaire de qualité car reposant sur la proximité des acteurs.
Il reste à espérer désormais que ni les portes de la Chancellerie ni celles de Bercy ne sont pas déjà fermées à la discussion.
Les prochaines semaines le diront.
Philippe Leconte
Directeur général de Lexavoué
Avocat au barreau de Bordeaux
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