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L’appel incident : nouveau casse-tête dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire.

L’appel incident : nouveau casse-tête dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire.

Publié le : 08/07/2015 08 juillet juil. 07 2015

Par Vincent Mosquet, Avocat associé, Lexavoué Normandie
 
En application des articles 548 et 549 du Code de procédure civile, l’appel peut être incidemment relevé par l’intimé tant contre l’appelant que contre les autres intimés.
Et l’appel incident peut également émaner, sur l’appel principal ou incident qui le provoque, de toute personne, même non intimée, ayant été partie en première instance
Plusieurs difficultés sont issues du décret du 9 décembre 2009 instaurant la réforme dite Magendie concernant la procédure d’appel. Trois problèmes issus de cette réforme seront exposés :
 

1) Le délai de l’appel incident

Jusqu’à l’apparition du décret du 9 décembre 2009, la formalisation de l’appel incident ne posait pas de difficulté majeure quant au délai puisque l’article 550 CPC précisait que l’appel incident ou l’appel provoqué peut être formé en tout état de cause, alors même que celui qui l’interjetterait serait forclos pour agir à titre principal. Dans ce dernier cas, il ne sera toutefois pas reçu si l’appel principal n’est pas lui-même recevable.
 
L’appel incident pouvait donc être formé jusqu’au jour de la clôture de la procédure sous réserve du respect du principe du contradictoire.
 
Le régime de l’appel incident était identique lorsque la procédure d’appel était soumise au régime de la représentation obligatoire ou lorsqu’elle était soumise à la procédure sans représentation obligatoire des articles 931 à 949 CPC
 
Le décret du 9 décembre 2009 est venu dissocier le régime de l’appel incident suivant que la procédure est soumise ou non au régime de la représentation obligatoire.
 
En effet, ce décret a fait précéder les dispositions de l’article 550 ci-dessus rappelée de la formule : « Sous réserve des articles 909 et 910 »
Pour mémoire, aux termes de l’article 909 : l’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 pour conclure et former, le cas échéant, appel incident.
Et aux termes de l’article 910 : l’intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de deux mois à compter de la notification qui lui en est faite pour conclure.
 
Il en résulte que dans les procédures d’appel avec représentation obligatoire, l’appel incident ne peut plus être formé en tout état de cause mais au plus tard dans le délai de deux mois de la signification des conclusions de l’appelant.
 
La tentation est grande pour l’intimé qui a omis de conclure ou de régulariser son appel incident dans les deux mois de la signification des conclusions de l’appelant de régulariser alors un appel principal, si le délai n’est pas expiré.
La Cour de cassation a alors jugé dans un arrêt du 9 janvier 2014 que celui qui avait omis de faire son appel incident dans ce délai n’était pas recevable à faire une déclaration d’appel principal même si le délai d’appel principal n’était pas expiré [1]
 
Dans un arrêt du 4 décembre 2014 [2] la Cour de cassation a écarté l’argumentation selon laquelle l’appel principal consécutif à l’irrecevabilité de l’appel incident par application de l’article 909 peut être interjeté dans le délai de un mois de signification du jugement aux motifs que :
 
La signification de sa déclaration d’appel et ses conclusions par le premier appelant a fait courir le délai de deux mois ouvert à l’intimé par l’article 909 du code de procédure civile pour conclure et former éventuellement un appel incident, ce dont l’intimé s’est abstenu ;
 
Du fait de son abstention, alors que cette voie de recours lui était ouverte dans les conditions prévues par l’article 550 du Code de procédure civile, l’intimé dans le cadre de la première déclaration d’appel n’était pas recevable à relever appel principal du jugement précédemment attaqué, l’absence de signification de ce dernier étant indifférente.
 
Dans ces deux arrêts la cour de cassation a pris le soin d’analyser la situation de procédure, laissant entendre que l’appel principal formé par l’intimé au premier appel était en réalité provoqué par ce premier appel et était donc un appel incident dissimulé.
 
On aurait pu penser que si l’intimé dans le cadre du premier appel avait eu un intérêt à former un appel même si aucune autre partie n’avait interjeté appel, son appel n’aurait pu en aucune façon être qualifié d’appel incident et aurait donc été recevable même s’il avait été formé en dehors des délais des articles 909 et 910.
 
La Cour de cassation aurait ainsi simplement voulu interdire de déguiser un appel incident en appel principal.
 
Toutefois dans un arrêt du 13 mai 2015 publié au bulletin [3] semble compromettre cette construction puisque l’appel incident est rejeté en raison de la caducité de l’appel principal, sans que la Cour de cassation ne prenne la peine de constater que l’appel incident n’était motivé que par l’appel principal et n’aurait eu aucun intérêt en l’absence d’appel principal.
 

2) La recevabilité de l’appel incident est soumise à la validité de la procédure de l’appelant principal

L’article 550 du Code de procédure civile posait la recevabilité de l’appel principal comme condition de recevabilité de l’appel incident : l’appel incident ou l’appel provoqué peut être formé en tout état de cause, alors même que celui qui l’interjetterait serait forclos pour agir à titre principal. Dans ce dernier cas, il ne sera toutefois pas reçu si l’appel principal n’est pas lui-même recevable.
 
Dès lors l’intimé qui pouvait avoir un intérêt à former un appel principal était tenté de faire un appel incident sans attendre que ne commence à courir le délai de deux mois de l’article 909.
 
Il avait d’ailleurs intérêt à le faire pour éviter que l’appelant ne se désiste sans son accord l’article 401 CPC soumettant le désistement à l’acceptation de l’intimé qui a formé un appel incident ou une demande incidente.
 
Dès lors que l’appel principal était recevable, l’appel incident pouvait être considéré comme un appel principal.
 
Or, la Cour de cassation vient de poser comme principe, dans l’arrêt du 13 mai 2015 ci-dessus cité, que l’appel incident, peu important qu’il ait été interjeté dans le délai pour agir à titre principal, ne peut être reçu en cas de caducité de l’appel principal ;
 
Ainsi, la Cour de cassation, dans des termes qui ne laissent pas de place à l’interprétation, a ajouté pour la recevabilité de l’appel incident une condition supplémentaire à savoir le respect par l’appelant principal du délai de l’article 908 du Code de procédure civile.
 
Cette solution est surprenante puisque la recevabilité de l’appel incident est ainsi soumise à une condition qui dépend entièrement de l’appelant. L’intimé ne peut en aucune façon contraindre l’appelant à conclure dans le délai qui lui est imparti par l’article 908. Et il risque le perdre le bénéfice de son appel incident sans avoir aucune possibilité d’y remédier ni de s’en prémunir. On peut ainsi parfaitement imaginer un plaideur qui souhaite éviter l’appel de son adversaire. Il prend alors l’initiative d’un appel principal et le laisse devenir caduc de sorte que l’intimé se trouve ainsi privé de son droit d’appel.
 
Cette décision est d’autant plus surprenante que le législateur a pris soin d’ajouter à l’article 550 la mention « sous réserve des articles 909 et 910 » et n’a pas mentionné l’article 908 ni ajouté après dans ce dernier cas, il ne sera toutefois pas reçu si l’appel principal n’est pas lui-même recevable. ou « s’il est caduc »
 
La Cour de cassation a ainsi ajouté une condition supplémentaire et elle ne vise pour cela aucun texte. Elle se substitue ainsi au pouvoir réglementaire sans que la nécessité du principe ainsi posé ne soit véritablement compréhensible.
 

3) Si l’appel principal ne peut être interjeté par l’intimé qui a omis de former son appel incident dans le délai de l’appel principal, l’appel incident peut-il être formé par celui qui a fait un appel principal qu’il a laissé rendre caduc faute d’avoir conclu dans le délai de trois mois de l’article 908 ?

Dans une décision du 20 mai 2015, le Président de la 1ère chambre civile de la Cour d’appel de Rouen, en qualité de conseiller de la mise en état, a jugé que dès lors que l’appelant initial, dont l’appel est caduc faute d’avoir déposé ses conclusions dans le délai de l’article 908, dépose des conclusions d’intimé et d’appelant incident dans le délai de l’article 909 dans le cadre de l’appel d’une autre partie, ses conclusions sont recevables [4].
 
Cette décision paraît conforme aux dispositions tant de l’article 909 que de l’article 550. Pourtant elle semble ne tirer aucune conséquence des décisions de de la Cour de cassation rendue dans l’hypothèse inverse [5]. Si cette jurisprudence venait à être confirmée par la Cour de cassation, il y aurait un net déséquilibre entre la situation de l’appelant incident qui ne peut régulariser un appel principal lorsqu’il a omis de conclure dans le délai de l’article 909 et celle de l’appelant principal qui a omis de conclure dans le délai de l’article 908 et peut néanmoins régulariser un appel incident dans le délai de l’article 909 si bien évidemment une autre partie a également interjeté appel.
 
Dans un arrêt non publié au bulletin, [6], la Cour de cassation a jugé qu’ayant relevé que la réforme de la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière civile réalisée par le décret du 9 décembre 2009 encadrait la procédure dans des délais stricts sanctionnés d’office pour chacune des parties au litige et retenu que l’automaticité des sanctions était la condition nécessaire de l’effectivité de la réforme, la Cour d’appel en a exactement déduit, peu important que les sociétés intimées aient conclu au fond dans les deux mois suivant la notification des conclusions d’appel à leurs avocats non constitués, que la caducité de la déclaration d’appel résultant de ce que ces conclusions n’avaient pas été notifiées dans le délai imparti par la loi à leur représentant dans la procédure d’appel ne constituait pas une sanction disproportionnée au but poursuivi qui est d’obliger l’appelant à faire connaître rapidement et efficacement ses moyens à l’avocat constitué pour l’intimé.
 
Ainsi, si la décision du conseiller de la mise en état de Rouen peut être considérée comme conforme à l’esprit du Code de procédure civile tel qu’il avait été conçu par ses auteurs, qui considéraient que le litige est la chose des parties et que le juge a pour fonction de trancher les problèmes qui lui sont soumis par les parties, elle ne semble pas être conforme à l’esprit de la procédure moderne telle qu’elle est inspirée par le décret Magendie.
 
En conclusion, les décisions ci-dessus évoquées ne peuvent qu’inviter à la prudence. Lorsqu’une partie envisage un appel, il semble préférable qu’elle le régularise le plus rapidement possible pour ne pas risquer de se heurter aux difficultés et risques de l’appel incident.


Notes :
 
[1] Civ 2ème n° de pourvoi 12-27043 publié au bulletin.
 
[2] Civ 2ème n° de pourvoi 13-25684.
 
[3] N° de pourvoi 14-113801.
 
[4] Rouen ordonnance du 20 mai 2015 RG 14/03556 et 14/03890.
 
[5] Civ 2ème 9 janvier 2014 et Civ 2ème 4 décembre 2014 ci-dessus cités.
 
[6] Civ 2ème 4 septembre 2014 n° de pourvoi 13-22654.

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