Condamnation fiscale solidaire du dirigeant avec sa société, quelles sont les problématiques ?
L’article L.267 du Livre des procédures fiscales instaure une action en responsabilité fiscale du dirigeant, solidairement avec sa société, lorsque cette dernière est redevable d’un impôt qui n’est pas réglé, sous diverses conditions. Cette action, ouverte aux comptables de la DGFiP, est destinée à assurer le recouvrement des dettes fiscales des sociétés ou des groupements.
Une telle condamnation est distincte de celle prévue par l’article 1745 du CGI qui prévoit que ceux qui ont fait l’objet d’une condamnation définitive prononcée en application des articles 1741, 1742 ou 1743 du CGI peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l’impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu’au paiement des pénalités fiscales qui s’y rattachent. Elle est également distincte de la responsabilité des dirigeants sur le fondement des dispositions de droit commun, par exemple celle engagée par les comptables de la DGFiP contre les dirigeants dans le cadre des procédures collectives, ou sur le fondement des différents articles du Code de commerce sur les sociétés (SARL, etc.) puisque les dirigeants sont responsables envers les tiers, des fautes et infractions commises dans le cadre de leurs fonctions.
Je vous propose un article sur cette épineuse thématique, sachant que la question essentielle est de savoir quelle est le type de condamnation qu’une juridiction peut prononcer.
Le texte.
L’article L.267 du LPF dispose que :
« Lorsqu’un dirigeant d’une société, d’une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des manœuvres frauduleuses ou de l’inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s’il n’est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d’une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal judiciaire. A cette fin, le comptable public compétent assigne le dirigeant devant le président du tribunal judiciaire du lieu du siège social. Cette disposition est applicable à toute personne exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement. (…) »
Les manœuvres ou l’inobservation grave et répétée des obligations fiscales.
Les conditions énoncées à l’article L. 267 du Livre des Procédures Fiscales sont alternatives, de sorte qu’en cas d’inobservation grave et répétée des obligations fiscales, il n’est pas nécessaire de démontrer, en plus, l’existence de manœuvres frauduleuses. La notion d’inobservation grave et répétée des obligations fiscales concerne toutes les obligations fiscales dont le respect est exigé des redevables : absence de dépôt des déclarations fiscales ou dépôt sans paiement, minoration des bases imposables, etc. L’inobservation grave et répétée est caractérisée lorsque les redevables ont régulièrement déposé les déclarations, mais se sont abstenus de payer l’impôt correspondant.
Cela est particulièrement vrai en matière de TVA, qui est un impôt fréquemment éludé par les contribuables en difficultés ou de mauvaise foi. la Cour de Cassation considère en effet que le défaut de paiement de cette taxe est particulièrement grave, le redevable conservant dans sa trésorerie des fonds collectés auprès de ses clients et destinés à être reversés au Trésor Public (Cass. Com., 23 juin 2004, n° 01-11.821 ; 22 novembre 2005, n° 1469 F-D ; 25 avril 2006, n° 03-20.709 ; 4 mai 2010, n° 09-14.054). Et le mécanisme concerne non seulement le non paiement direct de la TVA, mais également lorsqu’est inclus un mécanisme de déduction fiscale qui n’était pas applicable.
La jurisprudence considère également que le caractère de gravité s’apprécie au regard des seuls manquements, sans qu’il ne soit besoin de rechercher si les
circonstances économiques difficiles seraient de nature à excuser les manquements reprochés ou à en atténuer la portée.(Cass. Com., 26 novembre 2003, n° 03-20.885).
L’impossibilité de recouvrement subséquente.
Le texte instaure une responsabilité fiscale. Qui dit responsabilité dit faute, préjudice et lien de causalité entre les deux. Par conséquent, les inobservations graves et répétées constatées doivent avoir rendu impossible le recouvrement de l’impôt.
Ainsi a-t-il été considéré que la personne morale et son dirigeant compromettaient la liquidité de la créance du Trésor Public et créaient les conditions qui contribuaient à rendre le recouvrement impossible, en aggravant la situation de l’entreprise au regard de son passif fiscal (Cass. Com., 26 novembre 2003, n° 1665, FS-D).
L’impossibilité de recouvrement s’apprécie essentiellement au regard des difficultés rencontrées par le Comptable public pour recouvrer les sommes dues, étant souligné que cette impossibilité est d’autant plus caractérisée lorsque les titres exécutoires ont été émis à des dates précédant immédiatement ou suivant l’ouverture d’une procédure collective, le Comptable public se trouvant alors dans l’impossibilité d’exercer son droit de poursuite individuelle (Cass. Com., 20 novembre 2001, n° 98-17.333).
La Cour de Cassation a pu considérer que l’impossibilité de recouvrer l’impôt résultait de manœuvres et manquements répétés au cours des années précédant la mise en liquidation de la société, laquelle est intervenue de façon quasi concomitante avec la fin des opérations de contrôle fiscal entrepris » (Cass. Com., 20 juin 2006, n° 04-17.398 ; 3 juin 2008, n° 07-19.033).
Mais pour quel type de condamnation ?
C’est la question la plus épineuse : l’article L. 267 du LPF ne permet théoriquement pas au président du tribunal de prononcer une condamnation de sommes à payer, surtout lorsqu’il s’agit d’impôts directs qui relèvent du juge administratif, mais de prononcer une responsabilité solidaire du dirigeant avec la personne morale redevable des impositions à payer.
En effet, il existe principe de séparation des ordres juridictionnels qui précise qu’il est interdit aux juridictions judiciaires d’empiéter sur les litige de nature administrative. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs érigé en « principe constitutionnel » l’existence d’un champ de compétence propre pour la juridiction administrative (Cons. const. 23 janv. 1987, n° 86-224 DC), lequel a ensuite été érigé en « principe fondamental reconnu par les lois de la République », par application des dispositions de l’article L. 199 du LPF.
Les juridictions ont tendance à faire ce qu’elles ont l’habitude de faire : condamner le dirigeant dont il a été démontré la faute dans les conditions précédentes à payer à une somme d’argent sonnante et trébuchante correspondant au montant de l’impôt éludé…. Mais c’est là que le bât blesse.
Comme le rappelle la doctrine, la mise en cause des dirigeants sociaux par la DGFiP sur ce fondement est une « action patrimoniale à caractère civil, engagée devant le président du TGI, qui vise à obtenir un titre à l’encontre du dirigeant, afin de poursuivre le recouvrement des impositions impayées dues par la personne morale.»
Ce point est clairement confirmé par l’administration fiscale elle-même, qui précise dans le BOFIP (ref : BOI-REC-SOLID-10-10) que :
« 10
Cette action en responsabilité ne fait pas partie des mesures d’exécution que la loi a expressément confiées au comptable public compétent (article L252 du Livre des Procédures Fiscales), contre le redevable légal et qui découlent de la procédure d’authentification de la créance du Trésor. C’est une demande en justice par laquelle le comptable requérant vise à obtenir un titre lui permettant d’engager des poursuites contre certains tiers désignés par le texte et sous certaines conditions énumérées par la loi.
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L’article L267 du LPF (Livre des Procédures Fiscales) n’a pas institué une action en dédommagement, contrairement aux dispositions du code de commerce qui prévoient que les gérants de SARL et les administrateurs de SA sont responsables envers les tiers, d’une part, des infractions aux dispositions législatives et réglementaires applicables à la société, d’autre part, des violations des statuts et enfin, des fautes commises dans leur gestion.
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L’action spécifique prévue à l’article L267 du LPF a pour finalité de faire désigner une personne physique ou morale dirigeant de droit ou de fait, qui réponde du paiement solidaire de la créance du Trésor, assortie de tous ses privilèges et pour son montant intégral, pénalités comprises. »
Si les mots ont un sens, l’action fondée sur L. 267 du LPF est une action qui « vise à obtenir un titre », exclusivement ; cet article « n’a pas institué une action en dédommagement ». Le texte rappelle bien que le dirigeant peut « être déclaré solidairement responsable ». Par conséquent, il est théoriquement impossible pour un Président d’un tribunal judiciaire compétent, de prononcer une condamnation financière qui est analysée comme un dédommagement.
Cette règle nous semble d’ailleurs logiquement justifiée par le fait que si les recours de la personne morale contre le titre ayant prononcé l’imposition aboutissent à une décharge d’imposition, alors la responsabilité éventuelle du dirigeant s’applique dans les limites du montant finalement arrêté par le juge administratif.
Je rappelle à cet égard que la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 septembre 2021 (Cass. com. 22 sept. 2021, n° 19-10.827), que :
« lorsqu’une dette fiscale relevant de la compétence des juridictions administratives est contestée par le dirigeant, dont la responsabilité solidaire au paiement de celle-ci est recherchée, le juge judiciaire doit, sauf si la contestation n’est pas sérieuse, retenir l’existence d’une question préjudicielle, ordonner le sursis à statuer et renvoyer la question devant le juge de l’impôt, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
Cela signifie bien que le juge judiciaire ne peut prononcer aucune condamnation à payer un impôt, cette prérogative étant réservée au juge administratif. Il ne nous semble donc pas contestable que cet article n’autorise pas une condamnation solidaire du dirigeant aux dettes fiscales de la personne morale.
Conclusion.
Il faut espérer que le jurisprudence se montre plus rigoureuse qu’elle ne l’est actuellement car on constate bien souvent que les magistrats se montrent peu enclins à se limiter à prononcer une solidarité, en attendant que le juridiction administrative tranche la question de l’imposition due par la société.
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Historique
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